En salles 13/03/2022

Belladones de Sophie Tavert Macian, un premier long “sauvage”

Le Saint-André des Arts sera à partir du 16 mars le lieu d’accueil unique du premier long métrage de Sophie Tavert Macian, tourné en toute indépendance à l’été 2020. La réalisatrice a accepté de répondre à nos questions.

Après le succès de vos courts métrages Mad et Traces, pourquoi vous être dirigée vers un format de long métrage “low budget” et non vers une production plus classique ?

Parce que l’élan de ce film est davantage lié aux événements inédits que nous avons vécus ces dernières années qu’à un parcours logique. Comme nous tous, au premier grand confinement de 2020, je me suis retrouvée enfermée chez moi avec ma famille. Cette privation soudaine de liberté a été un choc et, rapidement, le sentiment funeste que le cinéma se “durcirait” après cette période s’est imposé.

Il faut savoir qu’avant même la pandémie, il était déjà certain que ce serait lent et complexe pour moi de faire un premier long produit classiquement, malgré le succès de mes courts. Avec la pandémie, il m’est donc apparu nécessaire de passer ce cap en toute autonomie, très vite, sans attendre rien ni personne, comme je l’avais fait pour mes tout premiers courts métrages.

En sortant de ces mois d’enfermement, je bouillonnais et n’avais qu’une idée en tête : faire un film. Un film sur la libération et le changement, un film de pure pulsion de vie !

Comment s’est initiée concrètement cette aventure plutôt singulière, dans l’écriture du récit comme le tournage et ses partis pris de liberté et de totale indépendance ?

J’ai initié le projet au mois de mai et j’ai aussitôt fixé des dates de tournage en août, sans idée précise de ce que j’allais mettre en scène. Ce qui me guidait, c’était des “énergies” : libération, métamorphose, transe, départ, collectif... J’avais envie, étant totalement libre de mon propos, d’être en mode “vibratoire”, de me laisser traverser et que le film soit le reflet de ce qui me traversait – désirs, questionnements, angoisses...

Très vite, le confinement et la figure de la sorcière se sont entremêlés. Je me suis alors mise à écrire tout en castant mes comédiens, en choisissant mon équipe et en repérant mes décors. Ce dispositif était assez fou, car l’écriture pouvait s’inscrire directement dans le concret et même s’inspirer de mes rencontres et de mes trouvailles.

Que diriez-vous de l’investissement de votre équipe technique et celui de vos comédiennes ? Comment avez-vous choisi et convaincu ces dernières de vous suivre dans ce projet atypique ?

L’ADN du film, dès le départ, était très local. Il s’agissait de fédérer une équipe proche de moi, géographiquement, de m’appuyer sur le réseau des techniciens et des comédiens rhônalpins. Certains étaient des amis proches, voire des membres de ma famille, d’autres de parfaits inconnus... Avec du recul, je ne sais pas trop ce qui les a convaincus... Un mélange, je crois. Mes courts métrages précédents d’abord, leur vigueur, leur exigence. Et mon énergie, bouillonnante et très communicative, un vrai diable hors de sa boîte !  Tous savaient, moi y compris, que j’irais au bout de cette aventure. 

Ensuite, leur engagement a été total. Étant tous bénévoles, je leur ai proposé un contrat en participation de gré à gré avec un pourcentage au prorata sur les futurs bénéfices, en fonction de leur investissement dans la fabrication du film. Et j’ai fait en sorte qu’ils se sentent bien : joie et bonne humeur, horaires de travail respectées malgré les gros volumes, et saucisses grillées sur le feu de sabbat au lever du jour.. !

Pourquoi avoir décidé de vous diriger vers une certaine dimension fantastique – avec cette figure de sorcière contemporaine – en partant d’un postulat très réaliste, celui de la crise sanitaire et du confinement ?

Je vois Belladones comme un poème forgé par l’intuition, les états, les énergies qui me traversaient à ce moment-là. J’ai laissé l’alchimie opérer sans aucun garde-fou, avec une liberté que nous n’avons absolument jamais quand on inscrit un film dans le système classique de financement et de fabrication.

La figure de la sorcière et les pratiques “énergétiques” m’intéressent cependant depuis longtemps. L’essai de Mona Chollet, Sorcières - la puissance invaincue des femmes, avait d’ailleurs été l’une de mes lectures marquantes des mois précédents. Déjà, dans mon court Traces, les personnages principaux sont des sortes d’artistes-chamanes-sorciers préhistoriques qui vivent une expérience de dimension parallèle impossible à catégoriser, mystique, magique, fantastique. J’avais très envie d’explorer ce même type d’expérience via une mise en scène en prises de vues réelles. J’avais aussi besoin de m’approprier immédiatement ces deux mois d’enfermement, une des expériences collectives les plus intenses et inédites que notre société ait vécu ces dernières décennies.

La mini-sortie du film, sur une seule copie, n’est-elle pas frustrante pour vous ? Avez-vous d’autres projets de films, y compris des œuvres plus “produites” ?

Un film sans production et sans distribution qui sort en salle est une victoire, donc ce n’est pas frustrant. Ce qui l’est, en revanche, c’est de sentir à quel point le marché, celui des festivals comme celui des salles, s’est durci ces derniers mois, surtout envers des films atypiques sortis de nulle part.

J’ai d’autres projets en cours d’écriture, la plupart s’inscrivent d’ailleurs dans un schéma classique de production et de fabrication. Ce n’est pas parce que mon premier long est un film sauvage que les autres le seront aussi ! En plus, faire un film coûte cher et j’ai passé toutes mes économies dans Belladones !

Comme pour mes films précédents, courts expérimentaux et auto-produits, courts narratifs très produits, fiction et animation, je compte continuer à suivre mon intuition, essayer de préverver au maximum ma liberté artistique et faire en sorte que ce que je cherche à exprimer trouve sa forme la plus juste. C’est, à mes yeux, l’essentiel.

Propos recueillis par mail par Christophe Chauville

 

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