Du court au long (de fiction) : Alexe Poukine, la quête de la consolation
Après avoir investi le documentaire (Sans frapper en 2019, Sauve qui peut en 2024), Alexe Poukine était passée à la fiction avec le moyen métrage Palma (2020). Kika, révélé à Cannes à la Semaine de la critique, arrive sur les écrans de l’Hexagone le 12 novembre prochain. Moment idéal pour éclairer l’univers dense et intense de cette réalisatrice française installée en Belgique.
La précarité sous-tend l’univers créatif d’Alexe Poukine. Précarité sociale, économique, matérielle, émotionnelle, mentale, physique, personnelle, professionnelle. Reflet d’une réalité, celle d’une multitude d’êtres, et signe aussi d’une conscience, d’un intérêt, d’une inquiétude, quand celle qui s’est retrouvée mère célibataire a connu la question du comment faire pour continuer, payer, nourrir, survivre. Une situation concrète qui a inspiré ses premiers pas dans la fiction, Palma, primé à Brive, Clermont-Ferrand, Palm Springs et IndieLisboa, suivi de Kika, lancé sur la Croisette et récemment couronné à Munich, Bruxelles et Moulins.
Dès son film court de fin d’études, Petites morts, la cinéaste questionnait le deuil et l’absence, en se concentrant sur le quotidien de deux femmes, et sur le choix de ne pas donner la vie. L’essence vitale du rapport à soi-même et du lien à l’autre. Un fil fragile et vulnérable. La question de la vulnérabilité, et de la souffrance possible, vue par le filtre du cinéma comme regard de la consolation et du soin. La mise en scène comme pansement, non pas pour masquer, minimiser ou dissimuler, mais au contraire pour mettre en lumière par un récit fait d’images et de sons.
Comment faire face à la souffrance, au mal-être, à la violence, à l’abus, au viol, au deuil ? Telle est la question que pose le cinéma d’Alexe Poukine à travers l’objectif de la caméra. Un viseur, un œil, un regard, qui, par sa position accompagnante de témoin, propose la mise en valeur par la considération et par l’écoute. Dans une société contemporaine pétrie d’injonctions au bonheur et à la performance, le pas de côté nourrit ces propositions cinématographiques. Une vision de biais, à rebrousse-poil des représentations classiques, qui se concrétise par des dispositifs de jeux de rôles, où acteurs et actrices se mêlent aux corps de métiers convoqués dans chaque projet.
Tous et toutes deviennent des personnages, brouillant les pistes entre documentaire et fiction. Victimes et agresseurs dans le long métrage Sans frapper ; patients et soignants dans le long suivant, Sauve qui peut ; comédiens et comédiennes dans la peau de travailleuses du sexe et de clients, jouant pour leur relation un rôle prédéfini, dans son premier long de fiction : Kika. Quant à Palma, la réalisatrice y redonne elle-même vie à un moment de son passé, via le voile fictionnel. La vérité du monde naît d’un travail de construction scénaristique et formel qui vise la révélation comme mode d’expression.
L’empathie reste la ligne directrice de sa création, pour laquelle il faut aussi citer son opus long inaugural Dormir, dormir dans les pierres, où l’auteure questionne le décès de son oncle dans la rue, en donnant la parole à leur famille, en suivant des sans-abris, des associations, des bénévoles. Une colonne vertébrale empathique qui guide les mouvements de ces rêves de cinéma devenus réalités. Autant de gestes qui s’accompagnent avec Kika de rencontres avec des interprètes fortement investis. Manon Clavel fait de son héroïne éponyme une jeune femme riche et complexe dans sa double activité “soignante”, en faisant du bien et du mal, mental et physique.
Assistante sociale et dominatrice sont compatibles et finalement reliées. Une combinaison d’activités à laquelle la réalisatrice a été sensibilisée via un ami. La catharsis est possible par l’investissement dans l’extrême : révolution que le personnage de Kika découvre à son corps défendant quand elle accepte de s’arrêter de courir, pour mieux lâcher les larmes. Jeanne, la jeune mère de Palma s’isole elle aussi dans une séquence, pour un craquage émotionnel. Ce sauvetage lacrymal permet d’assumer pleinement là où l’on est et qui l’on est. Ainsi naît la prémisse d’un cheminement vers la lumière.
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- À propos de Sans frapper, lors de sa sortie en salles en 2022.
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