Extrait
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Y’a qu’à pas baiser

Carole Roussopoulos

1973 - 17 minutes

France - Documentaire

Production : Vidéo Out

synopsis

Une femme prend la décision de ne pas garder son enfant. Le film alterne la séquence d’un avortement mené selon la méthode Karman – alors que cette pratique est encore illégale en France – et des images de la toute première manifestation parisienne de femmes en faveur de l’avortement et de la contraception, qui eut lieu le 20 novembre 1971.

Carole Roussopoulos

Née Carole de Kalbermatten le 25 mai 1945 à Lausanne, en Suisse, Carole Roussopoulos est une vidéaste et militante féministe, parmi les plus célèbres. Elle a ainsi réalisé plus de 120 documentaires portant sur les luttes féministes, sociales, antiracistes et LGBT.

Fille d'un banquier et d'une femme au foyer, elle a grandi à Sion et a, après avoir commencé des études de lettres à l’Université de Lausanne, gagné Paris pour poursuivre un cursus à la Sorbonne. Travaillant un temps pour le magazine Vogue, elle fait l'acquisition d'une caméra vidéo portable – une Portapak de chez Sony – avec son indemnité lorsqu'elle en est licenciée.

Elle part en Palestine au moment de Septembre noir et y tourne, avec son mari Paul Roussopoulos, un documentaire : Hussein, le Néron d’Amman. Les années 1970 la voient tourner de nombreux films en faveur de celles et ceux qui subissent l'opression et l'exclusion : la grande grève de Lip à Besançon, la question palestinienne, les Black Panthers, l'homosexualité, la mobilisation pour le droit à l’avortement, la prostitution la mobilisent notamment. Y a qu'à pas baiser, réalisé dans le cadre du collectif Vidéo Out qu'elle a cofondé, est l'une de ses premières œuvres.

Deux films qui deviendront culte pour les mouvements féministes  : Miso et Maso vont en bateau (1976) et S.C.U.M. manifesto (1976). Ayant rejoint le Mouvement de libération des femmes (MLF), Carole Roussopoulous fonde au début des années 1980 le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir avec Delphine Seyrig et Ioana Wieder. Elle rachète en 1986 le Cinéma L’Entrepôt à Paris, puis, après une faillite en 1994, retourne en Suisse, où elle s'éteindra des suites d'une longue maladie le 22 octobre 2009.

Son dernier film, le moyen métrage Delphine Seyrig, un portrait, date de la même année.

Critique

Avertissement : certaines images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Cinq ans avant la loi Veil qui légalisa l’avortement, la pratique clandestine de l’interruption volontaire de grossesse s’était développée en France, notamment grâce à la méthode Karman qui pouvait se pratiquer hors du milieu hospitalier. En son cœur, Y’a qu’à pas baiser filme l’une de ces interventions. Huit minutes aussi crues que baignées de douceur dans lesquelles la caméra alterne les gros plans de l’épicentre de l’action et ceux de la praticienne qui explique ses gestes et fait participer la femme au processus. Huit minutes dont l’intimité n’est pas évidente à regarder en face, reproduction de L’origine du monde de Gustave Courbet qui montre en gros plan et sans détours un vagin ouvert, mais qui affichent sans fard une pratique loin de la diabolisation qu’elle subissait. Huit minutes qui viennent en contrepoint du montage, au début du film de Roussopoulos, de la condamnation dispensée au journal télévisé par le professeur Jérôme Lejeune du “sang rouge” versé par les “avorteurs en blanc” et qui, au savoir surplombant de la blouse, préfèrent les échanges autour d’un repas pris en commun après les gestes médicaux.

Entre ces paroles opposées, Roussopoulos court les rues avec sa caméra vidéo Portapak (elle fut, dit-on, la première femme à acquérir ce modèle et la deuxième acheteuse après Jean-Luc Godard !) pour suivre le cortège d’une manifestation. Des slogans plein d’esprit y réclament une loi sur la contraception des mineures et la légalisation de l’avortement. La caméra légère interroge les femmes qui observent le défilé sans vouloir y prendre part. “Elles ont raison”, disent certaines, “Ils n’ont qu’à pas baiser”, éructe une autre, qui donne son titre ironique à ce film-tract.

Chez Roussopoulos, la forme et le propos se trouvent souvent liés par la jubilation et l’humour d’un militantisme joyeux. Dans ce film qui monte la parole savante du professeur de médecine contre celle d’une femme qui raconte que son mari a découvert, stupéfait, qu’une femme pouvait jouir, la dialectique fait force de loi du pragmatisme. Cette profonde solidarité tirée du respect de l’histoire personnelle de chaque femme, on en retrouve l’esprit dans la fiction de Blandine Lenoir, Annie colère, qui, cinquante ans plus tard, remet en scène la technique d’aspiration Karman pratiquée par les militant(e)s avant la légalisation, et à laquelle Lucille Ruault a consacré une thèse dont le titre résume combien à quel point, en médecine comme en cinéma, le choix de l’instrument tient lieu de principe éthique : “Le speculum, la canule et le miroir”.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation, scénario, image, montage et son : Carole Roussopoulos. Production : Vidéo Out. Distribution : Centre audiovisuel Simone de Beauvoir.