Extrait
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Une sœur

Delphine Girard

2018 - 17 minutes

Belgique, France - Fiction

Production : Versus Production, RTBF

synopsis

Une nuit. Une voiture. Une femme en danger. Un appel.

Delphine Girard

Delphine Girard est née le 14 janvier 1990 à Québec. De père canadien et de mère belge, elle a grandi à Bruxelles.

D'abord comédienne, elle a suivi une formation à l'INSAS, d'où elle est sorti avec un film de fin d'études remarqué dans de nombreux festivals en 2015, dont le Festival Le Court en dit long, à Paris, où il remporté le Grand prix : Monstre.

Elle a signé ensuite deux autres films courts : Caverne (2017) et Une sœur (2018). Présenté dans de nombreuses manifestations internationales, ce dernier a été finaliste aux Oscars 2020, dans la catégorie du meilleur court métrage en prises de vue réelles.

La réalisatrice l'a développé en une version longue intitulée Quitter la nuit, interprétée par les mêmes comédiens, dont l'actrice flamande Veerle Baetens, et qui arrive sur les écrans français au printemps 2024, après avoir remporté le Prix du Jury Venice Days / Giornate degli autori à la Mostra de Venise.

Delphine Girard a aussi été assistante-réalisatrice sur le moyen métrage Palma d'Alexe Poukine (2020).

Critique

Une voiture sur une route de campagne, la nuit. Un conducteur cadré de profil, en plan rapproché, visiblement stressé. Une jeune femme, sur le siège passager, l’est visiblement encore davantage. Elle passe un coup de téléphone. Et fait croire qu’elle parle à sa sœur. Sa sœur censée garder sa fille. Le spectateur en est d’abord persuadé, étant embarqué dans le véhicule, en immersion, comme assis avec les deux protagonistes, à l’arrière. De là, le point de vue se pose : on la voit, elle, de trois quarts ; plus que lui, qui reste néanmoins terriblement présent, puisqu’on comprend assez rapidement que la passagère est en danger, aux côtés d’un homme violent, qui l’enlève, peut-être, après l’avoir violentée. Après avoir abusé d’elle à la sortie d’une soirée en boîte de nuit. Ce n’est pas un parfait inconnu pour Alie (c’est le prénom de la jeune femme), mais sans doute seulement une connaissance. On restera dans le flou sur leur degré de proximité, mais ce qui est certain, c’est que la malheureuse a composé un numéro d’urgence, et qu’elle doit évidemment cacher à son agresseur qu’elle parle à une fonctionnaire de police…

C’est tout le suspense que parvient à engendrer et à faire “monter” le scénario – une fois le postulat et son caractère plausible acceptés – et la mise en scène, tendue, de Delphine Girard : le moindre faux-pas peut-être périlleux, voire fatal, et la femme en détresse doit jouer, au sens d’une actrice, improviser ses réponses en choisissant non seulement ses mots, mais aussi ses intonations, afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. La tension ressentie rappelle celle qu’avait su impulser Xavier Legrand à son court métrage Avant que de tout perdre (et ensuite à son long Jusqu’à la garde). On craint pour la victime, on a peur de ce qui peut lui arriver lorsque la brute lui arrache le téléphone, ayant d’un coup un doute, suite à une légère maladresse dans les propos. Efficacité du dispositif, pourtant très simple… Et puis, la mise en abyme impliquant l’acte de mettre en scène et de diriger (son interprète) est alors totale, puisque la policière doit parer au plus pressé et se faire passer pour la prétendue sœur, Lucie, sans montrer de signe de trouble ou d’anxiété.

Veerle Baetens, comédienne flamande appréciée fréquemment depuis Alabama Monroe (Felix Van Groeningen, 2012), incarne cet ange-gardien projeté par hasard vers la situation, ayant seulement intercepté l’appel passé par Alie, comme une bouteille lancée à la mer.

Les deux passagers de la voiture sont filmés dans la pénombre, de profil ou de trois quarts, existant pourtant solidement, sans qu’on les voie entièrement – le visage d’Alie nous demeurera ainsi imprécis. Et si l’homme a un prénom, Dari, il apparaît dans un certain anonymat, comme un symbole d’une masculinité toxique et violente, trop souvent concernée par ces faits divers tragiques s’égrenant dans les décomptes de féminicides et autres crimes sexuels.

Face au fléau, la sororité est une voie naturelle, semble nous dire la réalisatrice, faisant de deux inconnues des sœurs – c’est aussi le sens du titre –, alliant leurs forces, leur sang-froid et leur intelligence pour contrecarrer les plans d’un destin funeste décidé unilatéralement par un individu ayant bafoué sa propre humanité. Et lorsque le mot de code, établi en amont, est prononcé pour signaler la proximité d’une voiture de police banalisée au bord de la route, c’est un soulagement qui s’exprime en même temps que la lumière bleutée du gyrophare s’allume. Une police protectrice et empathique, réellement du côté des victimes, voilà bien un enjeu crucial de l’époque. Une sœur en indique la (bonne) direction.

Christophe Chauville

Réalisation et scénario : Delphine Girard. Image : Juliette Van Dormael. Montage : Damien Keyeux. Son : Luis Trinques, Ingrid Simon et Emmanuel De Boissieu. Musique originale : Frédéric Vercheval. Interprétation : Veerle Baetens, Selma Alaoui et Guillaume Duhesme. Production : Versus Production, RTBF - Radio Télévision Belge de la Communauté Française.

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