
2022 - 9 minutes
Allemagne, France - Fiction
Production : Punched Paper Films
synopsis
Un voyageur offre à un antiquaire un vinyle magique. “Il lit dans votre esprit et joue ce que vous avez en mémoire.” Obsédé par ce disque sans fin, l’antiquaire l’écoute encore et encore, et les souvenirs refont surface.
biographie
Jonathan Laskar
Né en 1978, Jonathan Laskar a étudié les arts plastiques à l'Université d'Aix-Marseille et la contrebasse classique au Conservatoire d'Aix-en-Provence.
En 2000, il s'installe en Allemagne, à Weimar, où il étudie l'architecture à la Bauhaus-Universität. Après quelques années d'expérience professionnelle en tant qu'architecte à Bâle, en Suisse, il étudie l'animation à la HSLU (Hochschule Luzern, Design & Kunst), où il obtient un master avec son film de fin d'études, De terre et d'encre (2013), dans lequel un homme construit son double en terre glaise.
Depuis 2013, Jonathan Laskar vit et travaille à Genève dans la branche du cinéma d'animation indépendant. Après avoir collaboré à divers films dans divers studios, il réalise en 2022 son premier film produit, The Record, qui rencontre un large succès dans les festivals sur tous les continents, se voyant sélectionné à Annecy, Auckland, Bogota, Bucarest, Chicago, Clermont-Ferrand, Espinho, Genève (Animatou), Locarno, Ottawa, Tampere, Tirana, Utrecht, etc. Le film se voit aussi élu meilleur film d'animation aux Swiss Film Awards 2023.
Jonathan Laskar est par ailleurs le frère d'Emmanuel Laskar, membre de la troupe des Chiens de Navarre durant plusieurs années et réalisateur du court métrage Calme ta joie et du long métrage Le médium (2024).
Critique
Réminiscence, boucle et souvenir sont les figures narratives que travaille ce très beau court métrage d’animation. La musique est ici, comme souvent, le truchement par lequel la mémoire s’active. Tout comme, au quotidien, des disques ou tel morceau de musique ramènent tout un chacun à des moments vécus, partagés, associés à une mélodie, une voix, une sonorité particulière.
Un disque a ainsi, dans le film de Jonathan Laskar, le pouvoir de convoquer, raviver et surtout, peut-être, transmettre la mémoire de celui qui le joue. C’est un disque “magique”, dit-on, que l’on se lègue, comprend-on a posteriori, pour ne pas oublier. Ainsi, quand un étrange visiteur âgé confie ce vinyle à un jeune antiquaire, c’est toute une histoire familiale, la sienne, entre Europe et Orient, que les sillons vont animer, rappeler : celle de persécutions anti-juives, d’une probable déportation à laquelle, enfant, l’antiquaire échappa. Le disque est ainsi protéiforme, à l’image de celui qui l’écoute, la musique qui s’en échappe est différente selon l’auditeur, le moment, les pensées qui sont les siennes. La mélodie n’est plus préalablement gravée, figée sur vinyle par le processus industriel, elle émane au contraire par enchantement de l’objet magique qui la restitue (the record sert à diffuser, mais to record, c’est aussi enregistrer), le film épousant cette logique par petites touches impressionnistes, par flashes visuels, tout en rimes, variations et répétitions.
Les lignes droites, nombreuses – que ce soient celles de la lumière diffractée par les stores de la boutique, celles barrant la pochette du disque, celles des cordes d’un oud ou encore celles des rails lors d’un voyage traumatique en train – redoublent en négatif le tracé d’une spirale, soit le sillon du vinyle s’enroulant sur lui-même. À ces tracés linéaires d’une vie allant cahin-caha de l’avant (sans trop savoir pourquoi, l’antiquaire collectionne les instruments de musique ; le film en révélera la raison), le réalisateur oppose, par le truchement du disque, la circularité de la mémoire, d’un temps non-linéaire et fluctuant. Ainsi, le 33 tours, arrivé à son terme, ne s’arrête pas, prisonnier d’un sillon sans fin (locked groove) lequel répète ad libitum son ultime mouvement, comme pour ne pas oublier, pour transmettre toujours, pour transmettre encore.
La beauté du film vient de ce travail plastique à la paradoxale jonction entre ligne claire, expressionnisme et abstraction, où la beauté des images et des transitions sait toujours ménager sa juste mesure à la gravité du propos. Tout en suggestions, sans jamais s’appesantir, le réalisateur choisit la voie du conte et du fantastique pour permettre à un esthète devenu vieillard d’encapsuler – pour les générations futures ? – toute sa vie, sur bandes magnétiques cette fois. Une obsession de la trace, comme pour contrecarrer la fatale obsolescence numérique de notre époque en un subtil éloge de l’analogique mémoriel.
Stéphane Kahn
Réalisation, scénario, musique et interprétation : Jonathan Laskar. Animation : Jonathan Laskar et Sébastien Godard. Son : Carlos Ibañez Diaz. Production : Punched Paper Films.