Cahier critique 01/12/2016

"Calme ta joie" d’Emmanuel Laskar

L’esprit turbulent de la troupe des Chiens de Navarre imprègne joyeusement ce premier film lumineux remarqué à Cannes en 2015.

Plus contemplatif que la comédie boulevardière qui s'est jouée précédemment en décor naturel, le générique de fin de Calme ta joie serpente sur une route forestière de Provence. Au volant, Maxime (Maxence Tual) improvise à pleine voix un chant à partir du nom de sa destination, Collobrières, bourgade dans laquelle il va emménager suite à son divorce. Ce nom était déjà au cœur de la première séquence, crié lors de la conversation téléphonique empêchée par une connexion défaillante.
Emmanuel Laskar se plaît à orchestrer ce type de changements de tons, alternant séquences comiques et dramatiques. C’est que, comme Il est des nôtres de Jean-Christophe Meurisse récemment, Calme ta joie est une émanation de la compagnie des Chiens de Navarre, dont sont issus son réalisateur et ses comédiens. En résulte une application extrême à mettre en scène et en espace, cigales comprises, les dialogues de cette comédie amère sur le couple et la création. Plus que pour son sens, le mot vaut pour la façon dont les acteurs se l’approprient. Crié avant que d’être chantonné, le nom de Collobrières donne à comprendre le trajet accompli par Maxime, peintre trentenaire à la croisée des chemins, tant sentimentalement (il peine à quitter son atelier attenant au domicile conjugal que Suzanne occupe désormais avec un autre) que professionnellement (il ne parvient pas à vivre de son art).

Autour d’un jeu de circulation malaisé entre ces deux monnaies d’échange que sont les sentiments et l’argent, chaque membre du trio occupe une place inconfortable. Jusqu’à ce que l’équilibre précaire éclate lorsque le nouveau compagnon (joué par Emmanuel Laskar lui-même) achète le portrait que Maxime a peint de Suzanne pour le lui offrir. L'amour, disait Lacan, “c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”.

Raphaëlle Pireyre

Article paru dans Bref n°116, 2015.

Réalisation et scénario : Emmanuel Laskar. Image : Raphaël Vandenbussche. Son : Elisha Albert. Montage : Anna Riche, Emmanuel Laskar et Jenny Teng. Musique : Ensemble Coloratura, Thomas de Pourquery, Edward Perraud et Pascal Sangla. Interprétation : Maxence Tual, Anne Steffens, Jean-Luc Vincent et Emmanuel Laskar. Production : Ecce Films.