Extrait
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The Juggler

Skirmanta Jakaité

2018 - 11 minutes

Lituanie, France - Animation

Production : Art Shot, Tripode Productions, Perspective Films

synopsis

L’autre côté de la vie – le côté effrayant et inconnu que nous ne comprenons jamais complètement, mais nous savons qu’il est là, quelque part, si proche.

Skirmanta Jakaité

Skirmanta Jakaitė est une réalisatrice et animatrice née en 1969 en Lituanie, alors au sein de l'Union soviétique.

Titulaire d'une licence en animation à l'Académie d'art de Vilnius, elle travaille dans la production de cinéma d'animation depuis 1989. Son premier film, Non-Euclidean Geometry (2014), a été coréalisé avec Solveiga Masteikaitė et a reçu le Prix du jury œcuménique au Festival du court métrage d'Oberhausen et le Prix spécial du jury international au Festival international d'animation d'Hiroshima, ainsi que le prix de l'Académie du film lituanien pour le meilleur film d'animation lituanien de l'année.

Pour The Juggler, en 2018, elle imagine un monde dystopique et cette coproduction franco-lituanienne, avec Perspective Films et Tripode Films du côté de Paris, fait le tour du monde des festivals, d'Annecy à Rotterdam, en passant par Aubagne, Bilbao, Bogota, Leipzig, Londres, Melbourne, Nice, Rennes, Rio de Janeiro, Turin, Vienne et bien d'autres.

Critique

Parfois, il semble qu’un fil incompréhensible devient visible et que je suis sur le point de comprendre.” Cet extrait du synopsis du “Jongleur” de Skirmanta Jakaitė semble parfaitement décrire l’état d’esprit du spectateur à la vision de ce grand film existentiel et surréaliste qui se révèle de plan en plan, livrant des bribes de vérité que l’on croit saisir, puis se dérobant à nouveau, ou plutôt nous entraînant dans un autre tourbillon d’images, d’échos sémantiques, et de réalités alternatives. Un jeu de pistes mental captivant et vertigineux, dans lequel tout semble à la fois totalement décalé et étrangement familier.

Pour nous guider – ou bien est-ce pour mieux nous perdre ? –, la réalisatrice a recours à des motifs visuels qui se font écho (épingles à nourrice, fluides, viscères, filaments…) et à une gamme chromatique réduite qui met l’accent sur les tons de rouge au milieu des camaïeux de gris, créant de puissantes et saisissantes visions. Dans cet univers fantasmagorique, les personnages traînent leur spleen ou leur désarroi, témoins impuissants de l’absurdité du monde – quand ils n’en sont pas les victimes, comme dans cette séquence glaçante, durant laquelle une femme, d’une voix robotique dénuée d’émotion, assène sans respirer toute une litanie de reproches à sa fille. Reproches qui touchent à des sentiments très intimes et dont on imagine qu’ils vaudront à l’intéressée des années de thérapie pour en surmonter la violence.

On navigue ainsi entre des couches de réalité qui semblent se contenir les unes les autres – comme autant de faces, peut-être, de cette farce tragi-comique que l’on appelle la vie. Pour accentuer cet aspect dérisoire et déconcertant, Skirmanta Jakaitė joue sur les échelles de plan, de l’infiniment petit au gigantesque, parfois en un simple mouvement de caméra. Cet aspect mouvant de ce que l’on regarde (une porte minuscule envahit tout coup l’écran, une mèche de cheveux se met soudain à onduler sur le sol) nous entraîne alors dans un fascinant voyage à l’intérieur de nos peurs, obsessions, désirs et fantasmes. Non pas dans une frénésie délirante et cauchemardesque, mais au contraire avec une précision cérébrale qui donne l’impression d’être face à une gigantesque et implacable mécanique. Une déambulation étonnamment dénuée d’affects, mais jamais de sens, dans les méandres inconscients de l’esprit et de l’existence humaines, entre contradictions et poésie baroque, onirisme et logique froide. L’expérience d’une intériorité qui nous est insaisissable, celle des autres – voisins, amis, inconnus –, alter egos semblant évoluer dans des dimensions parallèles où nous ne pouvons avoir notre place.

Marie-Pauline Mollaret

En partenariat avec 

Réalisation, scénario, montage et animation : Skirmanta Jakaitė. Son : David Vincent. Musique originale : Biosphere. Voix : Paulius Markevičius, Ieva Joniškytė, Sam Hall, Emmanuelle Pouzet, Samuel Mathieu et Vanessa C. Stone. Production : Art Shot, Tripode Productions et Perspective Films.