
Pavane
Pauline Gay
2023 - 25 minutes
Belgique, France - Fiction
Production : The Living, Need Productions
synopsis
Depuis plus de trente ans, Cora se lève tous les jours à quatre heures du matin pour aller travailler à l’usine et élever sa fille, Alex, partie, à son grand dam, tenter une carrière artistique à Paris. Au moment où la retraite sonne, Cora aimerait bien qu’Alex abandonne définitivement ce choix hasardeux, mais Alex prépare son premier film.
biographie
Pauline Gay
Pauline Gay est née à Dijon le 3 octobre 1982. Après une licence de cinéma à Paris-8, elle intègre La Fémis en 2007. En 2011, elle passe deux mois à Calarts (California Institute of the Arts). Son court métrage de fin d'études, Demain ça sera bien, est alors présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Il est aussi sélectionné à Premiers plans, à Angers, au Champs-Élysées Film Festival et au FIFF à Créteil.
Issue d’un milieu ouvrier, elle aime aller à la rencontre de différents milieux sociaux et signe sur cette tonalité Pavane en 2023. Interprété par Salomé Dewaels et Corinne Masiero, le film connaît à son tour un beau succès en festivals (Aix-en-Provence, Angers, Clermont-Ferrand, Moulins, Pantin, Sarlat, Trouville, Villeurbanne, etc.).
En 2023-2024, elle développe deux projets de premier long métrage parallèlement : La boule au ventre et J'ai vu la Terre rougir.
Critique
Dans ce court métrage coproduit entre Belgique et France, Pauline Gay nous invite à suivre le passage à la retraite d’une ouvrière. Après trente ans à faire tourner sa vie autour de l’abattoir, Cora a peur qu’elle ne tourne plus du tout. Peur de l’ennui, du vide, de l’absence de sa fille Alex partie faire des films à Paris, des conflits que cela engendre entre elles.
La réalisatrice se sert de l’opposition entre la mère et la fille – écart de générations, de visions des rêves et de la carrière – pour montrer la brisure causée par le travail à l’usine. Les premières images du film montrent d’ailleurs Cora se levant la nuit pour aller travailler, en sortant de ses “rêves de poulets”, comme le dit sa fille en voix off. Après quoi elle discute avec ses collègues et, là encore, il est question de rêves et d’ambitions. Cora semble n’en avoir jamais caressés ; une collègue un peu plus jeune, elle, en avait, mais sans pouvoir leur donner vie, tandis que sa fille à elle compte bien réaliser les siens. De génération en génération, une volonté de plus en plus forte d’exister selon ses propres règles, de s’affranchir de l’usine.
Et pour cause, le monde de l’abattoir ici dépeint est fourbe. La bonne entente entre collègues et le bonheur affiché par les sourires cachent bien un désarroi, celui de se plier à la routine des gestes mécaniques et répétés. Lorsque l’équipe travaille, il n’y a plus de sourires, à peine des visages, seulement des masques et des yeux fatigués. Le seul moment où la joie s’immisce malgré tout dans les combinaisons blanches, c’est lorsque les ouvrières fêtent le départ de Cora, comme une libération.
Cette dernière, qui affirme au début du film qu’elle aurait préféré continuer à l’usine plutôt que de s’arrêter, se confie à la fin sur la difficulté à côtoyer de si près la mort tous les jours. Le système a pourtant réussi à la convaincre que ce n’était pas grave, que son travail l’honorait et qu’il devait lui suffire. Une illusion à l’image de la médaille du travail qu’qui lui est remise pour ses trente ans de service. Elle en est si fière, convaincue que c’est de l’or. Et puis elle entre dans une boutique de bijoux, manifestement pour la vendre. La puissance de cette semaine. L’impuissance du spectateur. Nous connaissons la fin et attendons la sentence le cœur serré. Quelques minutes où il ne se passe pas grand-chose, mais qui remettent tout en question pour cette sexagénaire qui se rend compte qu’elle n’a rien. Juste son travail. Qui ne vaut rien, sinon du plastique plaqué or. Corinne Masiero est parfaite pour jouer les subtilités de ce personnage bien écrit, envers qui se développe une empathie immédiate. On est d’autant plus triste lorsqu’elle se fait de plus en plus petite dans les cadres qui suivent : perdue dans des plans larges ou surcadrée, comme si elle rapetissait, disparaissait à l’intérieur d’elle-même.
Cependant, Pavane nous offre tout de même l’espoir de la jeunesse, celui d’une génération qui n’est pas dupe. Alex compte bien tout faire pour réaliser ses rêves, ou du moins ne pas se faire voler son bonheur au profit d’un mec en costard à l’air suffisant et paternaliste…
Anne-Capucine Blot
Réalisation et scénario : Pauline Gay. Image : Adrien Lecouturier. Montage : Julie Lena. Son : Jérémie Vernerey, Lise Bouchez et Aline Gavroy. Interprétation : Corinne Masiero, Salomé Dewaels, Frédérique Moser, Sreyline Boudet-Ul, Johann Cuny et Carole Trévoux. Production : The Living, Need Productions.