Extrait

Nuit chérie

Lia Bertels

2018 - 14 minutes

Belgique - Animation

Production : Ambiances…asbl

synopsis

En hiver, au pays du Yéti, un ours n’arrive pas à dormir et broie du noir. Un singe blanc lui propose d’aller manger du miel chez sa tante pour se changer les idées. Une belle et étrange nuit s’ouvre à eux et l’ours est heureux de ne pas s’être endormi.

Lia Bertels

Originaire de Bruxelles, Lia Bertels a étudié le cinéma d'animation à l’École mationale supérieure des Arts visuels de La Cambre entre 2006 et 2011. En 3e année, elle y aura réalisé un documentaire d'animation de 3 minutes, Micro dortoir, avant d'en sortir diplômée avec Youssouf le souffleur.

Une fois diplômée, elle choisit de travailler sur des tournages, le plus souvent pour des clips, plutôt qu'en tant qu'animatrice. Elle travaille même en régie ou en direction de casting, mais se remet au bout d'un temps à l'aniamtion et développe son propre projet de court métrage, Nuit chérie, qui la met en lumière en 2018.

Elle enchaîne en 2020 avec On est pas près d'être des super-héros, à nouveau produit par la société Ambiances... asbl. Le film remporte le Magritte du meilleur court métrage d’animation en 2022, deux ans après une première nomination pour Nuit chérie. Entre temps, elle a illustré un livre pour enfants, Ora et le feu de Philippe Bertels, édité chez La Poule qui pond.

En 2024, Lia Bertels travaille avec Cécile McLorin Salvant sur un long métrage en forme de comédie musicale : Ogresse. Elle est d'ailleurs aussi musicienne, étant la chanteuse et batteuse de The Flying Chairs, un duo pop-folk formé avec son amie Marion Castéra.

 

Critique

Dans un décor saturé de bleu, Nuit chérie invite à une déambulation nocturne en compagnie de deux êtres en veille : un ours incapable d’hiberner en raison d’un rêve obsédant et un petit singe tenu éveillé par la beauté – celle de l’hiver, de la nuit, du silence : toutes merveilles qu’il aime à contempler. Ensemble, ils cheminent jusqu’à une épicerie nocturne où ils espèrent trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Au loin, une vague menace plane, celle d’un yéti… peut-être moins redoutable qu’il n’y paraît.

De ce presque rien, Lia Bertels façonne un monde. Quelque chose s’ouvre alors, comme une brèche dans un paysage à la fois extérieur et intérieur – celui des émotions, furtives, qui surgissent lorsque le sommeil se dérobe. Rien ne presse, tout s’installe dans une temporalité souple, comme si le film refusait les logiques habituelles de narration pour mieux épouser celles du rêve, ou de l’éveil nocturne. Cette lenteur, loin d’engendrer l’ennui, permet aux émotions de se déployer, au silence d’exister et au spectateur d’entrer dans une autre forme d’écoute.

Tout à fait accessible aux enfants, le ton du film n’en explore pas moins des douleurs plus anciennes, venues de loin. La mélancolie qui l’irrigue transite par un rythme suspendu et une musique lancinante – celle d’une louve affamée qui joue pour oublier sa faim. Les sonorités y tiennent une place essentielle : il y a d’abord ce mystérieux chanteur, figure onirique dans les rêves de l’ours, et ce motif musical récurrent – la chanson Leila, ce prénom qui signifie “crépuscule” ou “nuit”, du chanteur et guitariste iranien Kourosh Yaghmaei. Ce thème agit comme une clé d’interprétation, enveloppant le spectateur dans un bercement hypnotique, renforcé par les voix graves et feutrées des personnages, toutes portées par des interprètes aux timbres singuliers, conférant à l’ensemble une tessiture immersive.

Lia Bertels signe ici un cinéma poétique qui accorde autant d’importance à l’écriture visuelle qu’à l’expression intérieure de ses personnages, tous habités par des intentions, des états d’âme, des gestes minuscules mais éloquents. Elle capte l’invisible, ce qui en nous trahit le plus justement : une hésitation, un regard, une posture. Par son trait maîtrisé, efficace et épuré, elle livre un plaidoyer pour la nature profonde des êtres, emportant le spectateur dans une sphère d’une grande intimité, au croisement du sensible et du rêve.

Léa Drevon

Réalisation et scénario : Lia Bertels. Animation : Lia Bertels, Eve Deroeck, Sarah Brûlé et Lora D'Addazio. Son : Laurent Martin. Voix : Jean-Michel Vovk, Cachou, Patrick Descamps, Fabienne Loriaux et Erika Sainte. Production : Ambiances…asbl.

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