Extrait
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Maurice’s Bar

Tom Prezman, Tzor Edery

2023 - 15 minutes

France - Animation

Production : Sacrebleu Productions

synopsis

En 1942, dans un train vers nulle part, une ancienne drag-queen se remémore une nuit de son passé dans l’un des premiers bars queer de Paris. Les échos des ragots des clients racontent ce bar légendaire et son mystérieux propriétaire juif algérien.

Tom Prezman

Installé à Tel Aviv, Tom Prezman est un réalisateur et artiste visuel israélien diplômé en 2019 de la Bezalel Academy of Arts and Design, basée à Jérusalem, avec en poche un BFA en animation.

Avec Tzor Edery, il signe Tamou, une œuvre de fin d'études présentée notamment à la Cinéfondation, au Festival de Cannes, en 2020.

Le duo se reforme sur Maurice's Bar, produit par Sacrebleu Productions en 2023. Le film connaît une carrière exceptionnelle en festivals, à travers tous les continents. Les principaux festivals de cinéma d'animation l'auront sélectionné, d'Annecy à Zagreb, en passant par Anima à Bruxelles, Animatou à Genève, Cinanima à Espinho ou encore Anim'Est à Bucarest.

 

Tzor Edery

Tzor Edery est un cinéaste et artiste multidisciplinaire israélien basé à Tampere, en Finlande. Il a obtenu en 2019 un diplôme de l'Académie des arts et du design de Bezalel, à Jérusalem, au sein du département des arts basés sur l'écran. Il travaille dans plusieurs domaines, notamment l'illustration, le textile, les tatouages, la gravure et le son.

Avec Tom Prezman, il signe Tamou, une œuvre de fin d'études présentée notamment à la Cinéfondation, au Festival de Cannes, en 2020.

Le duo se reforme sur Maurice's Bar, produit par Sacrebleu Productions en 2023. Le film connaît une carrière exceptionnelle en festivals, à travers tous les continents. Les principaux festivals de cinéma d'animation l'auront sélectionné, d'Annecy à Zagreb, en passant par Anima à Bruxelles, Animatou à Genève, Cinanima à Espinho ou encore Anim'Est à Bucarest.

Critique

NB : ce texte transversal paru dans Bref n°129 (2024) est consacré à la fois à Maurice's Bar et à Margarethe 89 de Lucas Malbrun.

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery et Margarethe 89 de Lucas Malbrun sont des œuvres graphiques qui inscrivent les intrigues de leurs personnages dans des contextes troublés où les libertés individuelles sont bafouées. Le premier évoque les années 1920, où se déploie l’univers queer de son "héros" et de ses divers commensaux, Maurice, un Juif algérien qui a ouvert le deuxième cabaret gay à Paris en 1909 ; la matière du film provient du récit que des prisonniers homosexuels échafaudent en 1942 dans le train qui les mène vers un camp de concentration. Margarethe 89, lui, s’ancre dans les derniers soubresauts de la RDA et s’attache au sort d’une jeune femme internée pour ses positions politiques et son appartenance à un groupe punk de Leipzig. L’inscription charnelle de la gravure marque la première œuvre alors que la seconde préfère l’apparente légèreté du pastel à ouvertures géométriques.

Tandis que Margarethe 89 se termine sur une fin ouverte – la RDA est tombée, mais qu’adviendra-t-il de Margarethe, qui a longtemps été enfermée dans un asile psychiatrique et dont l’ami, Heinrich, travaille pour la police politique ? –, Maurice’s Bar se déploie sous la forme de courtes saynètes croquées à partir d’un futur sans espoir, déjà connu : celui des trains de la mort.

S’ils s’expriment à partir de lieux mortifères, les deux films ont des approches plastiques dissemblables. Cherchant les prémices d’une culture homosexuelle en Afrique du Nord, Tom Prezman et Tzor Edery tombent sur le cas de Moïse/Maurice Zekri (1879-1942), qui ouvrit un bar gay à Paris au début du siècle. C’est le lieu que célèbrent les deux cinéastes. Le film s’ouvre par des images prises d’un train qui conduit des prisonniers vers un camp de la mort. Dès le début, une voix murmure : "Maurice… Moïse" et le portait pointilliste du curieux pionnier s’esquisse, s’écoute et se donne à voir. La répression nazie n’est pas montrée ici, mais celle de la police française du début du siècle est omniprésente. Le film que l’on voit est celui que regardent les nombreux policiers qui guettent à la sortie du bar et font parfois des descentes musclées. La répression n’est toutefois pas le vrai sujet du film (contrairement à Margarethe 89) ; c’est plutôt la perception d’un mode de vie inacceptable pour les autorités et la majorité des citoyens d’alors. Comme le dit, à la fin, la voix off d’une victime : "On croyait à l’époque que seuls les pervers, les étrangers, étaient concernés et tout le monde détournait le regard, mais la guerre c’est comme une drag-queen ivre qui fait un show et se moque de tout le monde dans la foule et ne laisse personne indemne."

La partie centrale du film croise visions et paroles de témoins et donne vie, d’une manière baroque, aux scènes d’époque avec un graphisme qui grossit leurs traits et évoque un univers chaud, plein de vie et de sexualité débridée. Rondeurs, labilités des formes des personnages, des boiseries, des fauteuils élaborent une iconographie dionysiaque de ce monde où trône Maurice, à la fois proche et intouchable. Un jeu de pistes sophistiqué fait rebond, ici, sur ce que sera l’horreur nazie.

Aux couleurs vives, saturées répondent les tons pâles, bleus ou roses de Margarethe 89. Ce ne sont pas des êtres et des espaces curvilignes qui dominent formellement le film, mais des découpages géométriques des lieux : les carreaux des sols comme la ville vue à travers les barreaux de l’asile. Ce n’est pas baroque et surréalisant, mais plutôt hyperréaliste. Les groupes qui entourent Margarethe sont visiblement hétérosexuels et rattachés à un mouvement de résistance local assez fort alors en RDA : le mouvement punk local, plus politisé que son cousin anglais. Le film concerne la répression généralisée de tous les citoyens. On est plutôt du côté de l’objectivation d’un Francis Ponge que du lyrisme d’un Saint-John Perse.

Tzor Edery est graphiste et tatoueur : cette pratique lui a permis de surcharger les personnages de Maurice’s Bar en multipliant les esquisses, les signes, les sigles avec une ciselure de graveur. Le spectateur attentif voit à la fin un bras (probablement celui de Maurice) où apparaît son numéro de déporté ; cette saute temporelle uniquement visuelle est en phase avec l’univers décrit où tous genres, sexes et temps se mêlent.

Lucas Malbrun n’est pas dans le fantasme ou le décalage, il est dans le concret de l’époque. Tout le monde est en 1989. Les personnages s’animent sous les traits fins des crayons-feutres aux couleurs pâles qui prennent leurs distances avec la violence de cette fin des années 1980.

Par-delà leurs contextes dissemblables, les deux films, comme un miroir à deux faces, ciblent l’Allemagne de 1942 et la RDA de 1989. Ce ne sont pas exclusivement des "romans germaniques", comme le montre Maurice’s Bar, même s’ils pointent les dysfonctionnements désastreux du pays à deux moments clés de son histoire. Car, au-delà de la quête divergente des trois cinéastes, le gouffre du rejet de toute humanité préside au destin des sujets décrits : Maurice le juif homosexuel et Margarethe la jeune punk sont des victimes, par ricochets temporels, de ce ventre immonde de la bête qui, hélas, peut encore enfanter.

Raphaël Bassan

Réalisation et scénario : Tom Prezman et Tzor Edery. Animation : Maël Nathanaël Sonn, Aude David, Anan Gibson et Nofar Alfasi. Montage : Tom Prezman. Son : Mehdi Ghemari, Alexandre Jaclain et Camille Duranton. Musique originale : Tzor Edery. Voix : Soa de Muse, Hervé Caffin, Rose Walls, Farrah Youssef, Dalila Zioueche et Jean-Cyprien Chenberg. Production : Sacrebleu Productions.