Extrait
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Les humains sont cons quand ils s’empilent

Laurène Fernandez

2021 - 5 minutes

France - Animation

Production : La Cinéfabrique

synopsis

Enfermés chacun dans leur appartement, des voisins racontent à la caméra les petits tracas de la vie en communauté. Petit à petit, quand tout s’empile, il y a de quoi devenir fou.

Laurène Fernandez

Laurène Fernandez est une jeune réalisatrice de 24 ans travaillant à la fois dans le stop-motion et le live action.

Après avoir été diplômée en 2019 en animation 3D à l’École Estienne de Paris, elle intègre la CinéFabrique à Lyon en section image. Durant sa deuxième année, elle réalise son premier court métrage en stop-motion, Les humains sont cons quand ils s’empilent, qui lui vaut le 3e prix de la Cinef au 75e Festival de Cannes.

Elle travaille actuellement sur son prochain court métrage pour la collection “Parcours de femmes”, en lien avec la Quinzaine en actions et prépare également en parallèle une série de mini-épisodes à partir du concept des Humains sont cons quand ils s’empilent, qu’elle souhaite appliquer à différentes situations du quotidien.

Critique

Mona et Patrick, personnages de laine, déjeunent en silence dans leur salon vieillot. Seuls le tic-tac métronomique d’une horloge et les tintements sporadiques des couverts s’autorisent à résonner. Soudain, pourtant, un rire exagéré éclate de l’autre côté du mur, perce la bulle insonore et s’invite à table sans aucune gêne. Il fait tiquer, agace ; il est de ceux qui, parce qu’imposés, chargent l’air d’une torpeur collante. “De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes (…), ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s’arrêtent toujours aux paliers.” À ces lignes peréciennes, écrites depuis un escalier et introduisant La vie mode d’emploi, Laurène Fernandez répond par un contre-champ humoristique et les complète de l’éventualité du contraire. Dans Les humains sont cons quand ils s’empilent, le tapis de laine rouge provoque l’écho et les embryons deviennent des fœtus avides d’envoyer valser les concepts de paliers et de murs, donc de tranquillité et d’intimité.

Ce premier court métrage aussi ingénieux que prometteur décortique donc la notion de voisinage. La vie qui s’éploie dans cet immeuble semble d’abord être des plus banales, des plus cordiales, bien rangée. Nous sommes invités à pénétrer dans les appartements des “habitants de l’allée 5”, tous introduits par des cartons titres éponymes. Laurène Fernandez nous le précise d’entrée : si l’image est une image animée, fabriquée, la matière sonore manipulée (des témoignages) est, elle, bien documentaire.

Ainsi le processus fonctionne-t-il en symbiose : le son, par les récits de vie, vernit l’image d’une couche de crédibilité quand cette dernière, empreinte de pudeur, permet l’acceptation de ce qui est conté, aussi absurde soit-il. In fine, ce film explore ce que le voisinage peut contenir de plus sombre, d’ubuesque. Plus les étages se gravissent, plus les liens conflictuels se creusent, trompant constamment notre hypothétique don d’ubiquité. Fond et forme se répondent sur un système d’addition et de compilation jubilatoires : les existences simultanées ricochent entre elles et finissent par s’emmêler. Comme une rumeur qui grossirait, avant d’éclater, disruptive, faisant perdre foi en l’humanité.

Le statut ambivalent du voisin est questionné de manière percutante : pas vraiment étranger, ni vraiment proche, il incarne l’“inconnu familier” plus souvent entendu que vu. Dès lors, comment faut-il réagir lorsque cet oxymore ambulant se permet d’empiéter sur votre sphère intime ? Le film formule cela en filigrane et nous livre une possible réponse, aussi délicieuse qu’effrayante ; réinjectant avec brio l’aspect ironique compris dans ce proverbe chinois : “choisir ses voisins est plus important que choisir sa maison”.

Toute l’ingéniosité de cette jeune réalisatrice réside dans le traitement de ses personnages. Si le titre les juge ouvertement et que Dunmow Flitch – musique de Bonne nuit, les petits – y est reprise en leitmotiv pour dédramatiser les situations, Laurène Fernandez leur prête une politesse sans faille. Qui n’aurait d’ailleurs presque pas lieu d’être. La tolérance peut parfois être une vilaine qualité, semble-t-elle nous chuchoter. Ou peut-être se laissent-ils grignoter de l’intérieur car ils se savent tous un peu coupables. Dans ce cas, c’est le fameux “Well… Nobody’s Perfect !” que nous percevons en écho depuis la cage d’escalier.

Lucile Gautier

Réalisation : Laurène Fernandez. Scénario : Loriane Arribas. Image : Margot Cavret. Montage : Loup Dufresne. Son : Augustin Bourget, Maëlle Page et Tiphaine Depret. Voix : Paul Bétis, Lucie Cabon et Léon Exbrayat. Production : La CinéFabrique.