Extrait
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Le diable est dans les détails

Fabien Gorgeart

2016 - 19 minutes

France - Fiction

Production : Deuxième Ligne Films

synopsis

1859. Alexina, apprentie institutrice dans le couvent de jeunes filles où elle a grandi, souffre de douleurs intolérables. Après l’avoir examinée, le médecin du diocèse révèle qu’elle est hermaphrodite. Selon lui, puisque le masculin l’emporte toujours, Alexina est un homme. Elle n’a alors d’autre choix que de quitter l’école.

Fabien Gorgeart

Fabien Gorgeart est né le 5 avril 1976 à Rouen. Passionné par le théâtre, il y fait ses premières armes, à la fois comme comédien et assistant à la mise en scène.

Le cinéma l'attire également et il commence à réaliser des courts métrages en 2007 avec Comme un chien dans une église, sélectionné alors au Festival européen du film court de Brest. L’espace d’un cri (2008) et Un homme à la mer (2009) suivent et en 2013, il rencontre sur Le chien de ma chienne, réalisé dans le cadre d'une Collection de Canal+, l'actrice Clotilde Hesme, à qui il donnera le rôle principal dans son premier long métrage Diane a les épaules, qui sortira au cinéma en 2017.

Entretemps, Le sens de l’orientation aura reçu le Prix du spécial du jury au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand en 2013. En 2016, le réalisateur signait un nouveau film court, Le diable est dans les détails. Il revenait ensuite vers la scène en adaptant Stallone, d'après la nouvelle d'Emmanuelle Bernheim, au Cent-Quatre, à Paris en 2019, puis Les gratitudes, roman de Delphine de Vigan, en 2023.

Son deuxième long métrage, La vraie famille, interprété par Mélanie Thierry, Lyes Salem et Félix Moati, est sorti en 2022.

Critique

Passé à deux reprises au format long avec Diane a les épaules (2017) puis La vraie famille (2021), Fabien Gorgeart est un vétéran de la forme courte. Couronné de succès, son premier court métrage, Comme un chien dans une église (2007), explore ce qui ne cessera ensuite de résonner dans son œuvre : les relations intimes explosives et les identités qu’elles engagent, notamment et surtout le masculin et le féminin. Dans L’homme à la mer (2009) – un film sur le mal du père –, le personnage principal fait semblant de partir pêcher et revient chez lui en s’approvisionnant à la poissonnerie pour apparaître comme un homme digne et respectable. Dans Le sens de l’orientation (2011), Fabrizio Rongione incarne un personnage tourmenté par sa stérilité. L’espace d’un cri (2008) met en scène un jeune et “vrai mec” qui va remplacer sa femme dans une prestation artistique et qui, ce faisant, va faire preuve d’une plus grande sensibilité. Enfin, réalisé dans le cadre de la Collection de Canal+ sur le motif du jeu des sept familles, Un chien de ma chienne (2013) aborde les relations sororales (le film est interprété par les trois sœurs Hesme : Anne-Lise, Clotilde et Élodie), ainsi que la question de la gestation. 

Avec Le diable est dans les détails (2016), Gorgeart adapte le récit d’Herculine Bardin : Mes souvenirs. Cette autobiographie retrace une descente aux enfers, la vie courte, tortueuse et tragique d’un être hermaphrodite qui se suicida à trente ans en 1868. D’abord identifiée comme femme, Herculine suit une éducation religieuse, plutôt douce et voluptueuse. Mais peu à peu, se sentant différente, elle se découvre un corps et les désirs d’un homme. À travers une adaptation très libre, Gorgeart choisit de mettre en scène seulement et uniquement la fin du récit d’Herculine Bardin, ce moment où, après avoir été examinée, elle va devoir quitter le couvent où elle officie en tant qu’apprentie institutrice, pour prendre les habits et le prénom d’un homme. Gorgeart ne filme pas les débuts, ni la métamorphose (la découverte de la pilosité, de l’absence de poitrine) ; il ne propose pas un film de couvent avec ses scènes salace de dortoirs, ni même ne s’attache à donner chair au personnage (solitaire et littéraire dans le livre, mais le film ne nous en dira presque rien). Le scénario s’articule autour de ce moment charnière, de cette ligne de tension, de démarcation, cette zone flottement où la femme est un homme et inversement, sur cette identité en suspens, dépossédée et à reconquérir, en devenir, avec une fin qui pourrait être un début. Le scénario ne propose pas de clé et l’équation reste difficile voire impossible à résoudre. Mais une espèce d’harmonie souterraine porte la fiction et la colore d’une tonalité presque allègre. Ce qui ne manque pas d’étonner. En témoigne la séquence finale, plantée dans un cimetière, avec le médecin qui, d’un pas alerte, traverse les allées et qui, l’air de rien, sur un air badin propose à Bardin d’emprunter aux morts son futur prénom masculin. Pour lui, le cimetière s’envisage comme le lieu d’une naissance, voire d’une re(co)naissance. Alors que là se scellera le destin de Bardin. Tout au long du film, le registre léger et comique masque la gravité de la situation, d’une personne hermaphrodite que l’on destine à être soit féminin soit masculin, et que cette assignation à choisir un camp, inquiète puis plonge dans une souffrance sépulcrale. Le sexe ne fait pas le genre. Et la notion même de genre demeure une assignation à résidence voire un arrêt de mort. Le diable se cache dans les détails.

Donald James

Réalisation et scénario : Fabien Gorgeart. Image : Thomas Bataille. Montage : Damien Maestraggi. Son : Nicolas Mas, Jocelyn Robert et Benjamin Laurent. Interprétation : Laure Lefort, Garance Rivoal, Thomas Suire et Alice Butaud. Production : Deuxième Ligne Films.

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