Extrait
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La voix des autres

Fatima Kaci

2023 - 30 minutes

France - Fiction

Production : La Fémis

synopsis

Rim, tunisienne, travaille en France en tant qu’interprète dans le cadre des procédures de demande d’asile. Chaque jour, elle traduit les récits d’hommes et de femmes exilés dont les voix interrogent sa propre histoire.

Fatima Kaci

Scénariste et réalisatrice française née en 1992, diplômée de la section réalisation de la Fémis, Fatima Kaci a écrit et réalisé un court métrage documentaire, Terre d’ombres, en 2021, puis une fiction courte, Pièces détachées, en 2022.

Son film de fin d’études, La voix des autres, achevé en 2023, a été sélectionné alors dans le cadre de la Cinef, au Festival de Cannes, remportant ensuite de nombreux prix dans des festivals tant en France (Clermont-Ferrand, Brest, Pantin, Lille, Montpellier…) qu’à l’étranger.

Fatima Kaci travaille actuellement sur son premier long métrage.

Critique

Avant La voix des autres, son film de fin d’études à la Fémis, couronné de nombreux prix tant en France qu’à l’étranger, Fatima Kaci, avec Terre d'ombres (2021), avait posé sa caméra au cimetière musulman de Bobigny pour documenter les tranches de vie des visiteurs, à la manière de Claire Simon dans Le bois dont les rêves sont faits (2016). Ensuite, toujours à la Fémis, elle a signé son premier film de fiction, Pièces détachées (2022), autour d’un vieil homme que la névrose menace tant il tourne le dos à toute une partie de son passé jusqu’au jour où un disque de musique kabyle lui réchauffe le cœur. La voix des autres prolonge ce cinéma inscrit dans les sillons d’une réalité sociale arrimée à une couche quasi documentaire, en nous emmenant aux côtés d’une traductrice de langue arabe, Rim (interprété par l’actrice et danseuse tunisienne Amira Chebli).

Rim fait le lien entre les structures administratives qui l’emploient (l’OFPRA, reliée au ministère de la justice) et les personnes (des demandeurs d’asile, pour la plupart) qu’elle est appelée à traduire. Ceux qui ont vu en 2024 L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine ne pourront s’empêcher de penser à la dernière et grande séquence du long métrage de Lojkine, celle de l’interrogatoire à l’OFPRA. Dans La voix des autres, la focale n’est pas la même : le personnage central est la traductrice, celle qui porte la voix des étrangers, qui interprète leurs mots, revit avec eux, pour eux, leur histoire tragique et se trouve malgré elle happée par le drame, confrontée à sa propre histoire. Pétrie d’humanité et d’une grande sensibilité, Rim fait face au terrible dilemme de trouver sa bonne place. Doit-elle aider ceux qu’elle traduit ? Peut-elle faire ce métier sans s’emparer des mots / des maux d’autrui ? “Dans mon film, explique Fatima Kaci, j’ai essayé d’explorer comment une personne négocie dans un système avec ses propres valeurs. Le personnage n’a pas d’autre choix que de bien travailler et cela signifie pour elle de trahir les autres.

Les témoignages s’enchaînent sans se ressembler. La langue réinstalle une frontière. Le cas de conscience se pose et se répète à plusieurs reprises, différemment, permettant au personnage principal de réfléchir, de se positionner, d’évoluer pour laisser vibrer son humanité. Le beau titre du film le suggère assez bien : ce court métrage est avant tout un film sur la voix ; une œuvre tant sur son écoute que sur sa mise en scène. La traduction peut alors s’envisager comme un jeu, comme un pacte de confiance passé entre l’auteur et l’interprète, pacte tacite, accepté ou parfois rejeté car jugé infidèle. Ce film ne peut se voir sans en appréhender sa dimension méta : à savoir qu’une réalisatrice est elle aussi une interprète d’une ou de plusieurs voix qui, comme Rim, ne cesse de s’interroger sur sa bonne place. “L’enjeu de la traduction est intéressant, parce qu’on voit bien que dans le passage d’une langue à une autre se jouent des rapports de domination, de trahison, commente Fatima Kaci. C’est pour cela que la traduction m’a beaucoup intéressée au-delà de la procédure de l’OFPRA ou du travail de l’interprète. Dans la langue, il y a la connexion à un imaginaire. C’est aussi ça, le cinéma.1 Et il ne fait aucun doute que la réalisatrice, comme son interprète, refuse de se plier à l’injonction de l’objectivité pour envisager le cinéma comme un art de la cité, politique, capable de changer sinon le monde du moins de toucher le public.

Donald James

Dans un entretien réalisé par Michaël Mélinard pour Bref n°130.

Réalisation : Fatima Kaci. Scénario : Fatima Kaci et Pablo Léridon. Image : Étienne Mommessin. Montage : Emily Curtis et Ugo Simon. Son : Antoine Bargain, Anna Devillaire et Hugo Cohen. Musique originale : Aniss Belkadi. Interprétation : Amira Chebli, Siham Eldawo, Hala Alsayasneh, Margot Ladroue, Manon Glauniger et Amine Benrachid. Production : La Fémis.