Extrait
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L’immoral

Ekin Koca

2021 - 4 minutes

France - Animation

Production : La Poudrière

synopsis

Un homme s’écroule dans un restaurant. Tous les clients sont sous le choc, sauf un.

Ekin Koca

Né en 1996 à Denizli, en Turquie, Ekin Koca est animateur et réalisateur, diplômé de l'EMCA (promo 2019) et de la Poudrière (promo 2021). Il a réalisé Feu croisé (2019) et L'immoral (2021).

Ce dernier a été sélectionné dans de nombreux festivals, obtenant notamment le Prix Lotte-Reiniger au Festival international du film d’animation de Stuttgart, Trickfilm, en 2022.

En 2024, Matar naem, son nouveau film court, commence sa carrière au Festival Ciné court animé, à Roanne.

Critique

Titrer un film L’immoral l’inscrit d’emblée sous le signe de l’éthique. Et en effet, Ekin Koca, jeune réalisateur d’origine turque, né en 1996, signe avec ce film d’animation sans dialogue, produit par la Poudrière en 2021, une œuvre dans la grande tradition française des fables ou des maximes. Fable où le huis-clos d’un restaurant devient le théâtre d’une comédie violente, d’un conflit tout aussi absurde que glaçant.

Dans une brasserie très fréquentée, un homme déjeune seul. Il s’étouffe en mangeant, se lève, puis s’écroule. Dans la série télévisée de Peter Farelly Loudermilk, la même situation dramatique ouvre la voie à une critique de l’Amérique procédurière (celui qui s’étouffe finit par faire un procès à son sauveur). Ici l’homme sombre et tout le monde le regarde mourir. Exit le B.A.-BA du geste qui sauve, la manœuvre de Heimlich. Tous spectateurs, tous passifs, tous coupables, tous plus hypocrites les uns que les autres. Tous ont, dirait Jean-Paul Sartre, les mains sales.

Plus que dans ses deux autres films (Feu croisé en 2019 et Matar Naem en 2023), le dessin des personnages d’Ekin Koca semble inspiré ici, non seulement dans leurs contours, mais également dans leur chair, par les clowns tristes, déprimants, abîmés des films d’animation du réalisateur anglais Joseph Pierce (Stand Up, A Family Portrait, Scale). Ce sont des personnages malades, infectés et infects. Une humanité dépouillée de lumière.

La progression dramatique de L’immoral repose sur un jeu subtil de changement de valeur de plan, tant à l’image qu’au son. À l’image tout d’abord. Hors-champ, la foule des clients découvre un homme qui continue de manger comme s’il ne s’était rien passé. Pour, en quelque sorte, se laver les mains, ils vont le désigner comme la cible à punir. Cet homme porte des lunettes opaques. Est-il aveugle ? A-t-il, oui ou non, vu quelque chose ? Qu’il soit ou non aveugle (dans la littérature philosophique, de La Fontaine à Voltaire, l’aveugle est un personnage récurrent), la séquence du lynchage n’y répond pas, mais participe, dans son acmé, à la mise à nue de l’inconscience de la foule animée de pulsions morbides, dans une fable qui finit par toucher.

Et puis, un nouveau hors-champ, mais sonore : on entend l’homme qui s’était écroulé tousser : il n’est finalement pas mort, mais personne n’a fait quoi que ce soit pour le sauver et tout le monde s’est en revanche réuni pour mettre à mort une innocente victime. Tous retournent à leur tâche, sauf bien évidemment le mort, l’aveugle, celui qui était en dehors du cercle. Moralité ? Au lecteur-spectateur de l’écrire…

Donald James

Réalisation et scénario : Ekin Koca. Animation : Ekin Koca et Guillaume Bourrachot. Montage : Myriam Copier. Son : Loïc Burkhardt, Alexiane Maupetit, Romain Darracq, Misoslav Pilon et Axel Demeyere. Voix : Edern Van Hille, Lola Degove, Annick Duroy, Franck Monmagnon et Hervé Petit de la Villéon. Production : La Poudrière.

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