Extrait
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Comme un seul homme

Jean-Louis Gonnet

2001 - 13 minutes

France - Documentaire

Production : 4 à 4 Productions

synopsis

Dans le huis clos d’un vestiaire, des rugbymen se livrent aux derniers rituels. Baume aux corps, échauffement des âmes tout entières dans l’attente du combat.

Jean-Louis Gonnet

Né en 1956, Jean-Louis Gonnet a étudié à l’Institut photographique de Genève puis, durant cinq ans, à l’Institut d’Arts Visuels d’Orléans, obtenant en 1981 un diplôme national supérieur d’expression plastique et réalisant son premier film, Filming Muybridge, à partir des photographies de la décomposition du mouvement réalisées par le pionnier du cinéma Eadweard Muybridge.

Il a ensuite travaillé comme assistant-réalisateur et assuré la réalisation de nombreux films de commandes et d’entreprises, avec l’INA ou pour des magazines culturels d'Arte (Métropolis, Le dessous des cartes…). En parallèle, il aborde la fiction avec Luc apprend lentement (1991), présenté alors dans la section aujourd'hui disparue du Festival de Cannes “Perspectives du cinéma français”, et Fée (1993).

Stigmates, coréalisé en 1996 avec Claude Duty, est présenté en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand et le court métrage documentaire Comme un seul homme, tourné avec des rugbymen du Racing Club de Vichy, connaît une carrière remarquable en 2002 : sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, gratifié d'une mention spéciale à Cinéma du réel et présenté à Clermont-Ferrand et Pantin, entre autres.

Jean-Louis Gonnet poursuit dans le domaine du documentaire avec Le voyage en Afrique du Sud (2008, à nouveau sur le thème du rugby), Ados des champs (2013) et Les forestiers (2016).

Il collabore par ailleurs en tant de vidéaste avec la Compagnie de théâtre Merlin et fait partie de l'ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion).

Critique

Le doux bruissement de la nature, des pépiements, du vent, le film de Jean-Louis Gonnet commence par un éveil au monde. L'image est encore noire. On se prend un instant à fermer les yeux, l'esprit sous la coupe des ailes puis soudain, ça cramponne, ça martèle, ça commence par rythmer l'écran, ça n'est pas entièrement installé mais ça vient du fin fond des mémoires, quelque chose de préhistorique, à la limite on s'imagine une congrégation de médiums faisant danser un guéridon ou quelques nomades détachés du monde brassant la terre battue de leurs pieds nus, à la limite, à la limite on serait à même de croire à tout, mais un tout contenu dans les crampons d'un joueur de rugby. Ça n'est que ça : un joueur de rugby qui tourne en rond avant d'entrer sur le terrain. Tac-tac-tac... Tac-tac-tac... C'est ce petit coup de pied sur le sol qui constitue la force de la mise en scène de Jean-Louis Gonnet, parce que c'est un tac qui va miner vos mémoires. Celui de la répétition du combat à venir : le match.

Le film tient en deux plans : le couloir qui mène au terrain (à la lumière) et le vestiaire qui combat (l'ombre, le clair-obscur). Deux plans de cinéaste. Le plan large du couloir confronté aux plans serrés du vestiaire. Morceaux d'épaules, crânes chauves, yeux fixes. La fiction contre le documentaire, appuyée à la paroi du documentaire. Comme une béquille. Harpo Marx tenant la façade de l'hôtel à Casablanca...

Tout le film repose sur cette mince frontière entre les deux écoles du cinéma, un genre sang mêlé que pratiquait à merveille Robert Kramer. On entend la musique des corps et le chuintement des voix venant des vestiaires. On ne comprend pas ce qui est dit réellement et là aussi, le travail sur le son continue à brouiller les pistes. Qui aurait pu imaginer qu'un corps de rugbyman produisait de la musique ? Et sa bouche des bruissements ? C'est ça le rugby !

De la danse pour les oiseaux. On n'en sait rien, mais c'est certainement ça le cinéma. Des plans virevoltant au plus près des visages et la tension de l'immobilité du cadre. Une alchimie du montage et de la lumière. Un reconstituant. Ce qui est beau c'est la résistance inconsciente des joueurs à la mise en scène : dans les vestiaires, ils ponctuent le rythme du montage par l'immobilité et dans le couloir, ils confrontent leurs mouvements incessants à la fixité du cadre. Il y a un vrai échange entre le cinéaste et ses acteurs qui tout en acceptant le contrat, semblent lutter contre. Ce mouvement entre les deux est un mouvement de cinéma. Le couloir est martelé par les crampons et les épaules des joueurs s'enfoncent au regard du cinéaste qui veille. Les corps s'entassent et les esprits se vident. On est chez les Marx Brothers dans la cabine de bateau qui n'en finit plus de s'emplir d'êtres humains. On sent dans le travail du cinéaste un travail d'entomologiste du geste.

Tac-tac-tac-tac. Silence des visages. Tac-tac-tac-tac. Le vide. Tac-tac-tac-tac. Le noir. On entre dans le noir mais les yeux ouverts cette fois-ci. Générique de fin sur les dernières consignes de l'entraîneur, seules paroles intelligibles, petite mise en abyme de la parole du cinéaste. Le trou noir. Parce que su l'in peut filmer les parties du corps du joueur comme un blason, on ne peut pas entrer dans son esprit, son âme pourrait-on dire, au vu du côté quasi religieux de la préparation des protagonistes. C'est là une des affaires du cinéma : amener le spectateur dans des zones où il n'a pas accès, mais où tout se met en place. Ce film c'est un peu une affaire d'esprits... L'esprit de corps. Un corps constitué de tous. Comme un seul homme.

Christophe Derouet

Article paru dans Bref n°53, 2002.

Réalisation : Jean-Louis Gonnet. Scénario : Jean-Louis Gonnet et Jean-Claude Saurel. Image : Guillaume Martin et Pauline Coste. Montage : Gilles Volta. Son : Jean-François Auger et François Guillaume. Production : 4 A 4 Productions.

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