
2021 - 13 minutes
Tunisie, France - Documentaire
Production : La Luna Productions
synopsis
Sous la dictature de Ben Ali, un homme est enlevé, torturé, tué, puis disparaît sans jamais avoir été retrouvé. Il revient nous parler trente ans plus tard.
biographie
Lotfi Achour
Réalisateur, metteur en scène et directeur de théâtre vivant à la fois à Paris et à Tunis, Lotfi Achour est l’auteur de plus de vingt-cinq créations de théâtre et de théâtre musical sur différentes scènes : Londres, Paris, le Festival “in” d’Avignon, Tunis, le Liban, l'Égypte... Son spectacle Macbeth avait été produit par la Royal Shakespeare Company pour les Jeux Olympiques de Londres en 2012. Il avait également réalisé une installation pour la “Nuit blanche”, à Paris, en 2006.
Formé à la réalisation documentaire aux Ateliers Varan, à Paris, il a réalisé cinq court métrages souvent primés à travers le monde, dont Père (2014) et La laine sur le dos (2016), sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2016. Il réalise la même année son premier long métrage, Demain dès l’aube, à son tour récompensé dans plusieurs festivals, mais demeuré inédit en salles en France.
Il revient ensuite au format court avec le documentaire expérimental Angle mort (2022), qui a notamment été présenté en compétition Labo au Festival de Clermont-Ferrand 2022.
Les enfants rouges, son deuxième long métrage, a fait sa première mondiale en compétition au Festival de Locarno 2024 et a été sélectionné dans plus de cinquante festivals, remportant une quinzaine de prix (dont le Grand prix des 35es Journées cinématographiques de Carthage), avant de sortir en France au printemps de l'année suivante.
Il est à noter que le scénario de ce film a été coécrit par le réalisateur avec, entre autres, sa fille Doria Achour, née en 1991 et qui est également comédienne et réalisatrice.
Critique
Une respiration, puis un visage inquiet émerge d’une noirceur palpitante. Ce visage qui se fond dans l’obscurité, c’est celui de Kamel Matmati, syndicaliste se retrouvant très vite enlevé par les sbires du gouvernement tunisien. À travers ce documentaire audacieusement protéiforme, parfois à la lisière de l’expérimental, est alors décrite cette disparition imposée, tandis que le récit se met à la recherche des vérités enfouies pour combler la béance outrageante des vides immoraux.
Angle mort retrace les derniers instants du militant, avec une voix-off à la première personne (basée sur la matière réelle d’un dossier d’instruction), et mène une reconstitution dans un noir et blanc presque indiscernable. Dans une véritable hybridation des images, le film mélange les techniques d’animation pour donner une vie rémanente à ces archives éparses, notamment dans une utilisation du procédé de la photocopie, ce qui lui revêt une esthétique à la fois d’enquête éprouvée et de mystère(s) à résoudre. Subsistent de véritables trouées plastiques, comme cette présence inopinée de la couleur rouge pour convoquer la grande violence des tortures et des assassinats. De ce flux incessant de silhouettes évanescentes, de rayures, de flous et de formes insaisissables émerge un sentiment d’enlisement et d’incertitude. En mettant des graphismes sur une “absence”, Achour vise à compenser l’amnésie que semble insidieusement exercer le gouvernement sur son peuple.
Le cinéma de Lotfi Achour s’évertue d’exposer les manquements du régime tunisien, tant dans ses crimes du passé que dans son histoire plus contemporaine, notamment avec Les enfants rouges (2025, voir aussi notre article “Du court au long”), qui évoque la présence du terrorisme et de ses ramifications néfastes sur tout le territoire. Angle mort s’inscrit quant à lui dans une volonté de dénoncer les crimes étatiques, sous la présidence dictatoriale de Ben Ali et de sa politique ambitionnant à instrumentaliser le réel.
Ces thématiques traumatiques résonnent avec le récent long métrage du cinéaste brésilien Walter Salles Je suis toujours là, qui met lui aussi en scène ces disparitions systémiques engendrés par des gouvernements corrompus et les mensonges qui en découlent. Le cheminement à l’œuvre serait de faire retrouver une dignité face à ceux qui se démènent pour combattre les faux récits. À la recherche d’un corps, le film de Lotfi Achour a eu la décence de lui redonner une subjectivité, une voix, immatérielle certes, mais d’une force incontestable.
William Le Personnic
Réalisation : Lotfi Achour. Scénario : Lotfi Achour et Natacha de Pontcharra. Image : Hazem Berrabah. Montage : Malek Chatta et Feriel Khediri. Son : Ismaïl Ben Abdelghaffar et Ismaïl Ben Abdelghaffar. Musique originale : Venceslas Catz. Voix : Ghassen Rguigui. Production : La Luna Productions.