En salles 30/04/2018

L’Être de mon moulin

Yann Le Quellec est l’un de ceux dont nous guettions le plus attentivement le passage au long métrage. C’est chose faite avec "Cornélius, le meunier hurlant", en salles cette semaine.

Le quepa sur la vilni !, prix Jean-Vigo 2013, croquait, à la hauteur d’une collectivité villageoise, une fable tendre habitée d’un nombre de personnages oscillant entre une certaine vérité psychologique et une sorte de flottement burlesque aux frontières de l’absurde. Yann Le Quellec y manifestait un goût pour la peinture d’un microcosme, un soin particulier pour les costumes et les couleurs franches, autant de traits que l’on retrouve dans Cornélius, le meunier hurlant. Par égard pour cette manière d’affirmer une palette singulière, une fantaisie bien à lui, un art de s’affranchir du tout-venant naturaliste, nous résisterons à ce penchant de la critique qui consisterait à inscrire le premier long métrage de Le Quellec dans un genre et tairons les références qui ont pu nous venir à l’esprit.

Ce conte drolatique et cruel, qui semble puisé à une matière ancestrale, ne peut être réduit à une parabole assez transparente sur la peur de l’autre, la difficulté d’intégrer une communauté quand on est différent, le poids des conventions sociales compassées, propres à empêcher l’épanouissement d’un amour aussi absolu qu’irrésistiblement charnel. Cornélius, le meunier hurlant est d’abord une fête, un spectacle vis-à-vis duquel notre cœur balance entre l’admiration pour toutes ces trouvailles et leur agencement et un plaisir pur quand on est emporté par le charme de sa naïveté assumée, sa dimension farcesque, sa sensualité, son humour, sa verve libertaire, sa cruauté parfois.

L’improbable moulin que le meunier construit est à l’image de cette oscillation. On est séduit par ce qui peut apparaître dans un premier temps comme une machine célibataire, un indéchiffrable assemblage sonore de rouages, de sangles, de poulies, mais qui, prenant la force de l’évidence, finit par produire de l’excellente farine et aussi se révéler l’espace enchevêtré d’une étonnante chorégraphie gymnique. Car le film n’existerait pas sans la présence de son acteur principal, Bonaventure Gacon, dont la corpulence et l’apparence bonhomme ne laisserait en rien deviner la souplesse et l’agilité. Cet artiste vient du spectacle vivant et, matérialisation en acte de la différence de son personnage, apparaît comme un corps étranger, une présence incongrue, à l’instar de la danseuse Rosalba Torres Guerrero qui, dans Je sens le beat qui monte en moi, le premier court métrage de Le Quellec, incarnait cette femme chez laquelle chaque musique entendue déclenchait des mouvements de danses irrépressibles.

Styliste impénitent, Le Quellec se plaît ainsi à manier des matières hétérogènes, à jouer de contrastes comme, dans Cornélius, le meunier hurlant, en confrontant ce personnage masculin tendre et sauvage à une Anaïs Demoustier à la fois pure et déterminée, y compris dans ses désirs. Il ne craint pas les discordances. Ça tombe bien, le cinéma est un art impur.

Jacques Kermabon


Filmographie courts métrages
de Yann Le Quellec :

Je sens le beat qui monte en moi
(2012, 32 min)
Le quepa sur la vilni ! (2013, 37 min)

Photos : © Frédéric Louradour.