Extrait
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Ô saisons, ô châteaux

Agnès Varda

1957 - 21 minutes

France - Documentaire

Production : Les films du jeudi

synopsis

Ballade au pays des Châteaux de la Loire, qui retrace leur évolution architecturale à travers les âges, en fonction des besoins de la guerre et des désirs des châtelains. Elle parcourt les grandes dates de notre Histoire, dont ces édifices furent les témoins. Chaque château est associé à une personnalité qui l’a marqué : Talcy et Ronsard, Amboise et Charles VIII, Blois et Villon, Chambord et François Ier. Les données historiques sont entrecoupées par les commentaires des jardiniers et par la lecture d’extraits de poèmes célèbres de Pierre de Ronsard, Charles d’Orléans, François Villon et Clément Marot.

Agnès Varda

Agnès Varda, née en 1928 en Belgique d’un père grec et d’une mère française, élevée à Sète puis à Paris, fut d’abord photographe au TNP de Jean Vilar. Après La pointe courte (1956), un premier long métrage réalisé en toute liberté et en décor naturel au bord de l’étang de Thau, elle accepte une commande pour le Ministère du tourisme, Ô saisons, ô châteaux (1956), un court métrage documentaire dont François Truffaut loua la fantaisie, l’intelligence, l’intuition et la sensibilité.

Rare cinéaste dont le parcours est jalonné, avec le même bonheur et une invention à chaque fois renouvelée, de courts et de longs métrages, de documentaires et de fictions, de commandes et d’essais personnels, Varda, navigua entre grand et petit écran, salles de cinéma et cimaises de musées, succès publics et réussites plus confidentielles.

Lauréate du César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2001 et de la Palme d’or d’honneur à Cannes en 2015, la réalisatrice des Glaneurs et de la glaneuse (2000) reçut, entre autres, le Prix Louis-Delluc 1964 (pour Le bonheur), le César du court métrage en 1983 (pour Ulysse), le Lion d’or à Venise en 1985 (pour Sans toit ni loi) et le César 2009 du meilleur documentaire (pour Les plages d’Agnès). Elle s'éteignit le 29 mars 2019 à Paris.

 

Critique

L’idée de voir un film sur les châteaux de la Loire n’est pas forcément des plus séduisantes, même s’il est signé Agnès Varda. Que trouver parmi ces vieilles pierres ? Tout cela sent le pensum éducatif poussiéreux d’histoire, du temps passé la plume dans l’encrier à suçoter de la colle ou à mâcher des boulettes de papier. Or c’est justement parce qu’il est signé Varda que ce court métrage mérite d’être vu. Ô saisons ô châteaux, un titre emprunté à un vers d’Arthur Rimbaud, est une lettre oubliée, une balle perdue qui rebondit et résonne avec le temps présent. On y trouve déjà une Varda égale à elle-même : faisant son miel de la flânerie, puisant dans les travellings rectilignes matière à rebond, un peu de sa rouerie, un peu aussi de sa manière à proposer, à dessiner de l’autobiographie là où on s’y attend le moins.  

Avec Ô saisons ô châteaux, Varda commence ce qu’elle prolongera ensuite : une sorte de radiographie de l’habitat, une mise en relation de l’architecture extérieure (de la rue, des bâtiments) et de la vie. On pense aux murs colorés de Los Angeles (Mur murs, 1981), aux cariatides soutenants les portiques parisiens (Les dites Cariatides, 1984), sans oublier le fameux lion de Belfort de la place Denfert-Rochereau (Le lion volatil, 2003), fauve qui ira jusqu'à provoquer des hallucinations. Varda a toujours su prêter l’œil à des éléments du décor qu’on ne regarde plus. Tourné juste après La pointe courte (1955), Ô saisons, ô châteaux est un documentaire historique et fantaisiste, subjectif et poétique. La mise en musique très swing d’André Hodeir accompagne ou souligne cette volonté de rester – même dans un sujet aussi lourd – léger. 

D’emblée, dès les premiers plans, la cinéaste s’amuse. Elle fait parler un jardinier, zoome sur le nom d’un village (“Montrésor”), joue des collusions de sens imprévues (“14 hommes”) et met en scène un film dans le film, quelque chose qui ressemble à une publicité pour des habits haute couture colorés et satinés. Parallèlement, Varda met en scène les doux clichés de la France provinciale, certains diront de carte postale, des images de cette France qui appartient déjà au passé. Il faut voir ces veuves tout en noir sortir de la boucherie en se donnant de discrets coups de coude. Les châteaux, on l’aura compris, même s’ils ne sont pas complétement dénués d’intérêt, ne sont que des prétextes, comme le dit la voix off de la narratrice (voix de Danièle Delorme, dont l’intonation ressemble à s’y méprendre à celle de Varda) : “Le spectacle n’est pas sur les toits, mais dans l’air”.  

Cette balade au pays des châteaux de la Loire, qui retrace leur évolution architecturale à travers les âges, en fonction des besoins de la guerre et des désirs des châtelains, est une fausse piste ou plutôt seulement une piste s’ouvrant sur un monde parallèle permettant d’un côté de découvrir des fragments de vies ou des portraits cursifs des petites gens du coin (peintre du dimanche, jardiniers qui dialoguent, tailleur de pierre dans son atelier, famille des gardiens du château de Chambord) et légitimant un montage d’un florilège de vers, tous plus magnifiques les uns que les autres, extraits signés par les grands poètes français que sont Pierre de Ronsard, Charles d’Orléans, François Villon ou encore Clément Marot. Ces poèmes sont lus par Antoine Bourseiller, célèbre comédien et alors compagnon de Varda. Que le film se termine aux Folies Siffait – soit le plus étrange des châteaux de la Loire, ce “château éclaté dans la forêt qu'il peuple partout de ses fragments” (Julien Gracq) – est significatif. Varda aussi réalise ici une œuvre éclatée, et ne cessera de mélanger les bulles de l’Histoire et de son histoire, renversant les lignes du documentaire et de la fiction, de l’imaginaire et de la réalité. 

Donald James 

Réalisation : Agnès Varda. Image : Quinto Albicocco. Montage : Janine Verneau. Son : Jean-Paul Mugel.  Musique originale : André Hodeir. Production : Les Films de la Pléiade.