Cahier critique 10/07/2018

“Les aventures romantiques et extraordinaires de M. Foudamour, la Lune promise...” de Marc Boyer et Christian Pfohl

Un petit bijou burlesque pour décrocher la Lune.

Du placide et tendre éclat de la Lune à l’exaltation passionnée de M. Foudamour, personnage baroque habité d’un pétulant staccato et entouré de multiples touches de rouge profond, il ne suffit parfois que de quelques opposés bien assemblés pour transformer le monde en une rêverie éveillée. Les premiers cartons, bien sûr, au kitsch suranné, déplaçaient déjà le récit dans un univers proche de ceux des contes enluminés et des burlesques à la poésie syncopée ; pourtant, s’il est certain que le court métrage se place sous ce patronage, souhaitant pareillement “lier le rire et l’émotion” selon les propres mots de ses créateurs, M. Foudamour… rayonne trop ardemment pour y être seulement contenu.

Évidemment, les mouvements des corps transformés par la machine cinématographique, les chromatismes irréalistes, le travail des univers sonores se font échos d’un temps à l’autre. Mais déplacer, c’est déjà inventer. Parce qu’imprégner un monde de couleurs saturées par une constance de points rouges, de coquelicot à carmin, ou le saisir dans la vibration d’un noir et blanc, c’est dire autre chose, autrement. M. Foudamour est trop excessif pour être nuancé : transportés dans son point de vue, le monde nous irradie de ses couleurs franches, s’invente comme une suite de tableaux épiques se faisant les réceptacles des élans et des tribulations effrénés de l’amoureux transi. Les belles y sont belles, qu’elles soient hystériques, amusées, alanguies ou indifférentes, et le monde, sans l’amour de celles-ci, ne se vit qu’une pierre au pied, sautant dans une rivière. L’impulsion du cœur insuffle ainsi la cadence du film et rend caduque la syncope mécanique de l’âge du burlesque, de Méliès à Chaplin ; M. Foudamour trouve lui l’expression de son âme dans la pixilation, définie par les réalisateurs comme “une magie que permet la caméra, prendre des images une à une, au rythme des comédiens, transformer leurs gestes, leur vitesse, et reconstruire un autre temps, pas plus rapide, simplement différent”. L’amour, ainsi accélère, accentue, gonfle d’emphase les transports du personnage comme les mouvements des corps qui habitent son monde. Rien d’étonnant alors à ce que l’univers sonore accompagne – préfigure, même – ce mouvement : la vivacité du staccato et les paroles seulement partiellement et brièvement intelligibles, noyées dans les rapides précipités d’un dialecte en onomatopées, qui à la fois nous amuse et nous transporte au cœur de ce monde unique, nous font croire à cette rêverie superbe où décrocher la Lune n’est qu’une question de distance et jamais d’échelle, où elle ne saurait être trop grande (quand bien même un seul bout ne cède) pour l’amour qui le réclame.

De l’âge du burlesque au 1993 de Kram et Plof, les mondes ont changé alors que l’âme demeure. Si la révolution industrielle, avec ses corps mécaniques, ses nuées de gris et ses bruitages ponctuels et répétitifs, s’est évanouie au profit de l’influence fertile du neuvième art qu’est la bande dessinée, avec ses onomatopées aussi irréalistes qu’expressives, et de l’animation, dans sa riche propension au mickeymousing – se lasse-t-on jamais d’écouter M. Foudamour heurter le poteau métallique, aveuglé par l’amour ? –, les quelques – merveilleusement raréfiés – objets communs qui émaillent le récit, du violon à l’échelle, déploient et déclinent quant à eux cette même poésie du dérisoire qui, par-delà les décennies, se nimbe de la grandeur des symboles. Il faut savourer Les aventures romantiques et extraordinaires de M. Foudamour : la Lune promise : il y a là-dedans cette noble et drôle mélancolie du lyrisme quotidien et intemporel.

Claire Hamon

Réalisation : Kram (Marc Boyer) et Plof (Christian Pfohl). Scénario : Christian Philibert, Marc Boyer et Christian Pfohl. Image : Hugues Poulain. Montage : Stéphane Guillot. Musique : Michel Korb et Tyty Blanchard. Son : Vincent Magnier et Benoît Henaff. Interprétation : Philippe Guyomard, Carole Richert et Rachel des Bois. Production : Lardux Films.