Cahier critique 12/12/2016

"Inupiluk" de Sébastien Betbeder

Deux gentils bobos parisiens rencontrent des Inuits de l’Arctique avant leur "Voyage au Groenland". Drôle, tendre, irrésistible.

On pourrait observer que, depuis un moment, les films de Sébastien Betbeder sont autant de manières d'aller à la rencontre de l'autre, que celui-ci soit un mystérieux réalisateur japonais, des fantômes ou un gros ours en peluche vivant. Cette perspective auteuriste percevrait une logique de suite dans Inupiluk, qui met en scène l'accueil, par deux glandeurs parisiens, de deux Inuits qui n'ont jamais quitté leur village.

Cette affirmation mérite d'être amendée par la réalité matérielle de ce film où le hasard a pris une bonne part. Le frère de son producteur, guide au Groenland, souhaitant depuis longtemps faire venir en France des chasseurs inuits, a trouvé subitement les financements pour ce voyage et voulait conserver une trace de cette expérience. Peu à l'aise avec le format documentaire, Betbeder a esquissé une vague trame deux semaines avant l'arrivée prévue des deux hommes et impliqué deux comédiens – tous les deux prénommés Thomas et nommés tels dans la fiction – dans ce projet où allait intervenir une bonne marge d'improvisation. Ils n'avaient pas le temps de trouver des financements par les voies habituelles et ont réuni cinq mille euros de dons via le site ulule.fr, somme complétée, dans la phase finale, par une aide à la post-production en Seine-Saint-Denis.
Un des charmes du film tient à sa légèreté. Sa trame ténue le met à l'abri de tout surmoi scénaristique et la maigreur de l'investissement le délivrait d'une quelconque attente précise.

On en retient surtout ce qui est advenu au moment du tournage. Cette situation artificielle a provoqué une vraie rencontre entre deux mondes. Et ce sont toutes ces petites épiphanies, perceptibles à l'écran, qui nous comblent, toutes ces premières fois pour ces deux hommes, qui découvrent la ville de Paris, les arbres, l'océan Atlantique...
On pourra trouver mièvre le ton avec lequel cette rencontre se déroule. Fallait-il introduire artificiellement des conflits ? La gentillesse ne fait-elle pas aussi partie du monde ?

On se plaît à imaginer que les liens que l'on voit naître sous nos yeux n'ont pas été que feints, de même la mélancolie de la séparation qui nous étreint à la fin.

La preuve en est qu'une suite est déjà envisagée, peut-être même déjà tournée.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°113, 2014.

Réalisation et scénario : Sébastien Betbeder. Image : Sébastien Godefroy. Montage : Céline Canard et Sébastien Betbeder. Son : Jérôme Aghion et Roman Dymny. Musique : Roman Dymny. Interprétation : Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, Ole Eliassen, Adam Eskildsen et Gaëtan Vourc’h. Production : Envie de tempête Productions.