Cahier critique 22/05/2017

"Il Silenzio" d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi

En compétition officielle au Festival de Cannes 2016. 

Et de deux. Après More than two hours, sélectionné au Festival de Cannes en 2013, Ali Asgari retrouve la croisette en compétition en 2016 avec Il Silenzio, un film cosigné avec Farnoosh Samadi.

Situé quelque part en Italie, dialogué en plusieurs langues (kurde, italien et anglais), Il Silenzio s’inscrit dans la continuité d’un certain world cinema à tendance mélodramatique. En quinze minutes, avec des cadres rapprochés sur leurs acteurs non professionnels, Asgari et Samadi construisent un “tire-larmes” sous tension. C’est dire combien ils maîtrisent la mécanique de ce genre cinématographique où les contraintes (externes / internes) écrasent les personnages. On peut se souvenir des deux hôpitaux de More than two hours, de leur refus de soigner la jeune femme mourante (car elle n’est pas mariée). Dans Il Silenzio, ce ne sont plus les lois iraniennes, mais les règles de bon sens que la vie nous impose qui constituent un frein et permettent de gonfler la bulle d’émotion. En Italie, auscultant une femme âgée d’origine kurde, un médecin s’aperçoit que celle-ci a un cancer du sein et qu’il faut l’hospitaliser d’urgence. Elle en avertit sa fille afin que celle-ci traduise son diagnostic. Mais cette dernière ne parvient pas à annoncer la mauvaise nouvelle à sa mère.

Il Silenzio est un thriller psychologique dans lequel une enfant refuse l’inversion des rôles : ce n’est pas à elle de révéler à sa mère qu’elle est malade ni qu’elle va (peut-être) mourir. Si la vision de ce film ne permet aucune ambiguïté quant à son sujet (le silence donc) le choix des acteurs et le dispositif employés par Asgari et Samadi permet d’enrichir cette première approche. Le premier plan montre la mère et sa fille ensemble dans hall d’accueil de l’hôpital italien. Les réalisateurs filment des réfugiés dans un pays d’accueil. Quinze minutes plus tard : ceux-ci appartiennent à une communauté plus grande (le cancer ne connaît pas de frontière). Ainsi au fil du film, la polyglossie des langues et l’hétérogénéité des corps se diluent dans un espéranto cinématographique : le langage du cœur.

On pourrait demander à des lycéens de relever ici le champ iconographique de l’opposition « caché-révélé » tant Asgari et Samadi ont choisi de mettre en scène un combat à l’issue duquel il s’agit moins de décoder que de soigner et d’exprimer des symptômes intérieurs (la cancer, l’émotion). Tout au long de ce film, les réalisateurs se situent du côté de leurs personnages. Ils sont avec ce film comme eux en exil et, comme eux, articulent un langage universel, celui des bons sentiments. Il n’est pas interdit de pleurer. Néanmoins, ce lyrisme semble comme propulsé par un inconscient collectif débonnaire. Si bien qu’on jugera, au choix ou de concert, qu’ici, dans ce monde de plus en plus amnésique, il est toujours bon de revenir à l’essentiel ou là, que la mécanique tourne à vide. 

Donald James

Réalisation et scénario : Ali Asgari et Farnoosh Samadi. Image : Alberto Marchiori. Montage : Mauro Rossi. Son : Denny De Angelis et Lionel Guenoun. Musique : Matti Paalanen. Interprétation : Fatma Alakus, Cahide Ozel et Valentina Carnelutti. Production : Kino produzioni / Filmo (Italie).