News 09/06/2023

Retour sur la Semaine 2023 : en avant jeunesse !

En dix films en compétition et trois présentés en séance spéciale (axée sur des films musicaux), la sélection de courts métrages la 62e Semaine de la critique a offert un panorama varié allant du giallo (à travers Krokodyl de Dawid Bodzak), au film politique (avec Contadores d’Irati Gorostidi Agirretxe). Mais c’est avant tout la jeunesse, avec ses inquiétudes, ses sensations, ses regrets, qui se frayait un chemin dans cette proposition.

Bande de filles

Au cœur d’une mangrove vit, de la façon la plus élémentaire qui soit, un groupe de jeunes filles. Celles-ci plongent dans l’eau pour attraper une oie qu’elles dévorent, se baignent, paressent sur le rivage, s’abritent sous les feuillages en cas d’orage. Pour faire le portrait, dans La saison pourpre (visuel de bandeau), de cette petite communauté primitive, la réalisatrice Clémence Bouchereau, formée au sable animé, s’est servie de l’écran d’épingles d’Alexandre Alexeïeff et Claire Parker. Ce dispositif impose d’animer en solitaire, de façon très physique, en composant l’image en gradations de gris à partir de l’ombre portée des épingles plus ou moins enfoncées dans l’écran.

Cette matière très fluide faite de noir et blanc, de vides et de pleins, correspond bien au mouvement labile de la bande de filles : mouvement de leurs visages dont les traits changent vite, du passage de la vie à la mort de leurs proies. Évolution de leur corps également entre l’enfance et la puberté, au point que l’entrejambe de l’une d’elles se met mystérieusement à saigner. Ces filles aux visages identiques pourraient être toutes sœurs, ou représenter les différents âges d’une même enfant devenant grande. Le décor de cette nature paradisiaque et oisive s’assombrit sous cette tache de sang et l’on sent que l’orage est toujours prêt à transformer l’éden en théâtre de la violence.

Le Boléro de Nans

C’est aussi de métamorphose qu’il est question dans Boléro (photo ci-dessus), pour lequel Nans Laborde-Jourdàa a remporté le Prix Canal+ du court métrage et le Prix découverte Leitz Cine du court métrage. Fran, danseur interprété par le chorégraphe François Chaignaud, rend visite à sa mère dans les Pyrénées. À peine arrivé, il souhaite déjà échapper au folklore de ces retrouvailles dont l’éternel refrain est fait de reproches. Une panne de voiture lui sert de prétexte pour s’échapper de ce huis-clos naturaliste et emprunter un chemin de traverse.

Lorsqu’il emprunte le bois la petite ville, repaire manifeste de rencontres sexuelles, c’est comme s’il passait de l’autre côté du miroir. Terminée l’ambiance réaliste du récit familial. La trajectoire du film et celle du personnage bifurquent ensemble vers un chant plus trivial et poétique à la fois. Excédé par les flots de souvenirs de jeunesse que ces décors font surgir, Fran s’enferme dans les toilettes du supermarché, se déshabille et se met à interpréter, sans musique, une chorégraphie du Boléro. Entendue dans le prologue tourné sur un fond nu, la célébrissime rythmique de ce “tube” classique de Ravel se reconnaît au frappement des pieds nus sur le sol. La danse secrète de l’enfant du pays a l’effet de la mélodie du joueur de flûte de Hamelin et attire dans les toilettes publiques une foule de curieux ensorcelés qui prolongent le ballet par une procession débridée.

Des larmes au rire

Une chorégraphie improvisée ponctue également Pleure pas, Gabriel de Mathilde Chavanne, celle de la danse de la colère que suggère Margot (jouée par Tiphaine Raffier) à son voisin Gabriel (Dimitri Doré) qui traverse une mauvaise passe. Libérateur, ce déchainement de gestes excessifs semble vider le jeune prof de dessin des pensées négatives qui l’ont poussé à appeler les pompiers pour une tentative de suicide après avoir ingéré “deux Decontractyl et demi”.

Comédie de la dépression, ce cinquième court métrage de la réalisatrice tangue entre humour et noirceur, se faisant le sismographe des débordements émotionnels de son anti-héros désespérément seul. Margot surgit derrière le camion des pompiers dans un K-way brillant qui ressemble à une couverture de survie. Les sentiments de Gabriel débordent sous forme de pleurs, de plaintes ou de chansons naïves qui surgissent de manière inattendue dans cette comédie romantique qui réunit deux âmes en roue libre. Comme arrachées aux pages d’un journal intime, ces complaintes musicales tranchent avec la violence du monde qui entoure les personnages. Les banderoles qui réclament plus de moyens pour l’hôpital ou les lettres collées sur les quais du Rhône clamant “j’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste” rappellent la brutalité du monde avec laquelle ces deux âmes sensibles peinent à composer. Le décalage constant du garçon avec le rythme et l’ambiance de son environnement se perçoit dans ses peintures, accrochées au mur de sa chambre, paysages mélancoliques aux couleurs pop. Mathilde Chavanne entoure son couple naissant d’une grand-mère et d’enfants d’école primaire, fidèle à son goût de filmer tous les âges. Lorsque le maître invite ses élèves à faire leur auto-portrait, on peut penser que c’est un miroir d’elle-même qu’elle nous offre.

Lucioles d’été

Moins désillusionnée que Gabriel, Mariana intériorise elle tous ses doutes sur le monde. Avec Corpos cintilantes (photo ci-dessus), Inês Teixeira fait le portrait d’une lycéenne le temps d’un week-end chez un ami de classe, aux aguets des sensations de l’été au Nord de Lisbonne. Le scintillement des corps, c’est celui des lucioles que les adolescents aperçoivent en rentrant la nuit à travers champs. C’est aussi celui propre à leur âge, qui les fait clignoter ou s’éteindre selon la façon dont ils se voient.

Avec beaucoup de délicatesse et de précision, le film revisite les images du coming of age dans lequel la protagoniste mesure sans cesse son image à celle d’autres modèles féminins, statue de femme nue évoquée en cours, danseuses sur Tik Tok ou grande sœur de son ami. Quand Mariana finit par enfiler le maillot de bain qui lui avait semblé trop indécent quelques heures avant, c’est que ce court séjour dans la famille de son ami, c’est son regard sur elle-même et sur le monde qui l’entoure se déplace.

L’art du récit

Je ne sais pas j’ai bien raconté comment la bagarre a commencé, mais en tout cas, c’est comme cela que ça s’est passé”. Guidé par une voix off qui hésite, se contredit, se souvient mal, The Real Truth About The Fight de Andrea Slaviček  a le goût du récit déconstruit qui montre ses coutures. Lena rejoue pour le spectateur à qui elle s’adresse directement les moments clés d’une dispute qui a éclaté dans son lycée. On pense à la narration de Wes Anderson en version low-fi quand l’adolescente dessine la carrosserie d’une voiture qui apparaît alors dans le décor : avec une ironie proche de celle des films de John Hughes, le mélange de la temporalité, les cadrages étranges ne cessent de dénoncer le jeu entre le réel et sa représentation preuve que ce monde de l’adolescence est un conte plein de bruit et de fureur dont la signification nous échappe. 

Raphaëlle Pireyre

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