Katrin Rothe en visite au Festival Cinéfil 2024
Le Festival Cinéfil de Charleville-Mézières, où l’une de nos journalistes a fait le déplacement, a accueilli cette année la réalisatrice allemande Katrin Rothe.
Si Charleville-Mézières est réputée pour être la patrie du poète Arthur Rimbaud, c’est aussi la capitale des arts de la marionnette, où se tient tous les deux ans le Festival mondial des théâtres de marionnettes. L’association ardennaise La Pellicule ensorcelée, qui promeut le cinéma sous toutes ses formes depuis près de 25 ans, a eu la belle idée d’intercaler entre deux éditions de cette manifestation incontournable le festival de cinéma Cinéfil consacré aux marionnettes à l’écran, et plus largement à l’animation en volume.
Lors de sa deuxième édition, qui s’est tenue du 13 au 17 novembre, le tout jeune festival a réaffirmé son identité, résolument conviviale et chaleureuse, au sein d’un chapiteau rouge constellé de lumières invitant grand public et professionnels à se retrouver après les séances autour d’un verre ou d’un concert. Projections, rencontres et ateliers se sont ainsi succédés dans différents lieux de la ville, tandis qu’un véritable parcours de découverte du cinéma d’animation était proposé aux étudiants de la prestigieuse École nationale supérieure des Arts de la marionnette qui ont pu dialoguer avec la réalisatrice Sophie Roze, le producteur Jean-François Le Corre ou encore le spécialiste de cinéma d’animation Xavier Kawa-Topor.
Parmi ces nombreux temps forts, la master-class donnée par Katrin Rothe a permis de mettre en lumière le travail de cette réalisatrice allemande spécialisée dans le documentaire et la technique des papiers découpés, et dont on a pu voir à plusieurs reprises les films à Annecy, notamment 1917, La vérité sur octobre en 2017 et Johnny et moi en 2023. On peut d’ailleurs voir actuellement une version courte de ce dernier sur le site d’Arte (jusqu’au 3 décembre).
Avec malice, la cinéaste avait intitulé sa conférence “Comment je suis devenue une réalisatrice politique”. Elle qui se destinait à l’origine au cinéma expérimental a en effet dû prendre un tout autre virage après la fin de ses études. “Je cherchais du travail en tant qu’animatrice ou cinéaste expérimentale, mais sans succès, se souvient-elle. Je ne pouvais pas me permettre de faire un stage car j’avais un bébé à la maison, et il fallait que je gagne ma vie. Alors j’ai essayé d’entrer à la télévision.” Elle a l’idée de parler de sa propre expérience en filmant des jeunes diplômés qui sont en recherche d’emploi, et auxquels on ne propose que des stages et activités non rémunérées. Ils se confient à la caméra, puis enregistrent leurs entretiens d’embauche, qui sont reconstitués en animation. Le film, Dark Lipstick Makes More Serious (2003), connaît un certain succès et lance sa carrière.
Elle s’inspire à nouveau de son expérience personnelle dans le téléfilm I’m His Ex (2009), qui a pour toile de fond le mouvement squat à Berlin-Est, dont elle a réellement fait partie au début des années 1990, puis Concrete Gold - How the Financial Crisis Fluttered into my Living Room, qui aborde la question de la gentrification à Berlin, dont elle fut l’une des innombrables victimes au début des années 2000 : “Quand j’ai fait ce film, le sujet ne touchait plus seulement les classes défavorisées, mais aussi les classes moyennes, et il a donc eu un impact important, explique-t-elle. Gagner le prix Grimme (qui récompense les meilleures productions télévisées allemandes, ndlr) m’a donné la liberté de faire mon film suivant en papiers découpés. J’avais expérimenté le capitalisme, il était temps pour moi de revenir aux sources en racontant la révolution russe à ma manière.”
Ce sera 1917, la vérité sur octobre, son premier long métrage à destination du grand écran, dans lequel elle met en scène cette période intense de changements du point de vue d’artistes de l’époque directement impliqués dans les événements, comme Vladimir Maïakovski, Maxime Gorki ou encore Kazimir Malevitch. Une approche originale qui assume sa dimension “do-it-yourself” et rompt avec le documentaire historique traditionnel, en combinant extraits de textes écrits à l’époque, images d’archives, découpages et marionnettes dans une fresque foisonnante et ludique.
Un procédé qu’elle reprend, en le développant, dans son dernier film en date, Johnny et moi, qui mêle des passages de fiction tournés en prise de vue continue (une graphiste en burn-out redécouvre le travail et l’engagement politique du pionnier du photomontage John Heartfield), des séquences historiques reconstituées en théâtre de marionnettes (retraçant plusieurs moments clefs dans la vie de l’artiste) et une savante combinaison des différentes techniques (les dialogues et la complicité naissante entre les deux personnages). “Je voulais faire le film un peu comme un collage, pour être proche du travail de Heartfield, confie-t-elle. Mais je voulais aussi qu’on voit ma manière d’utiliser l’animation, et ma manière de travailler en général. Mon processus de création est ainsi apparent dans le film, à travers les éléments que la graphiste accroche sur un fil au fur et à mesure de ses recherches.”
Dans la continuité de celui qu’elle considère comme une sorte de mentor, Katrin Rothe poursuit ainsi sur la voie d’une pratique artistique considérée sinon comme une arme, du moins comme une tentative d’agir sur le monde, et de tenter de le rendre meilleur. Dans cet élan, les marionnettes, figurines et autres pantins de papiers et de tissu, en parfaits alter-egos, interpellent notre propension à faire notre part, et semblent nous insuffler le courage nécessaire pour y parvenir.
Visuels : Johnny et moi / @ H&U Film.
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