News 27/02/2024

Lyna Khoudri vue par les cinéastes qui l’ont dirigée

En complément au focus consacré sur Brefcinema à Lyna Khoudri cette semaine, nous avons sollicité les réalisatrices et le réalisateur des courts métrages programmés pour l’occasion afin qu’ils reviennent sur leur travail avec la jeune actrice.

Marion Desseigne Ravel

Quand j’ai commencé à travailler sur le casting de Fatiya, j’avais en tête de travailler avec des non professionnelles. Le film était inspiré de l’histoire vraie d’une jeune femme voilée que j’avais rencontrée dans l’association de soutien scolaire où j’intervenais comme bénévole. J’avais essayé d’écrire un récit le plus proche possible des adolescentes que je côtoyais au quotidien, j’étais donc à priori réticente à l’idée de travailler avec une actrice professionnelle. Quand Anaïs Duran, la directrice de casting avec laquelle je travaillais et qui a ensuite signé le casting de mon premier long, Les meilleures, a évoqué Lyna Khoudri, j’ai commencé par dire non. Un non un peu buté. Un non assez naïf. Heureusement pour moi, Anaïs a insisté : “Rencontre là, ça ne coûte rien.”

Lyna est venue passer le casting, une après-midi, au milieu d’une dizaine d’autres jeunes femmes. Elle a tout de suite été très juste, elle avait ce mélange de grande assurance et de sensibilité à fleur de peau que je cherchais pour le personnage. Forte et fragile. Jusqu’à présent j’avais rencontré des filles qui étaient soit l’un, soit l’autre. Concilier les deux, accepter d’être les deux, ce n’est pas si facile.

Mais ce qui m’a surtout convaincue, c’est ce qu’on s’est raconté ce jour là. Elle m’a confié que le scénario lui avait fait penser à ses cousines, qu’elle avait l’impression qu’elle avait déjà croisé des Fatiya, que d’une certain façon, elle la connaissait déjà. Ce que j’aime dans la rencontre avec un acteur ou une actrice, c’est sentir le moment où ce que j’ai écrit m’échappe, ou l’autre se met à se l’approprier, à le transformer aussi. Un personnage, c’est un espace de rencontre, une co-construction.

J’adore quand, sur le plateau, un comédien me dit : “Mais mon personnage ne dirait pas ça comme ça !”. Lyna est ce genre d’actrice : elle est convaincue. Elle ne lâche rien. Elle veut que chaque phrase sonne, que chaque réplique soit ressentie. Elle ne laisse rien dans le flou. Avec elle, on peut pousser le film plus loin, travailler, reprendre, refaire jusqu’à ce que le tournage dépasse le scénario.

 Elvire Muñoz 

Avant de tourner avec Lyna Khoudri, j’ai d’abord été spectatrice de ses films, de ses pièces. Son jeu me bouleverse en ce qu’il est traversé d’implicites. Tout comme l’écriture, qui repose en partie sur la tension entre ce que l’on montre et ce que l’on retient. C’est cette approche qui, je le crois, fait d’elle une comédienne passionnante. Lyna aborde notre métier avec générosité.

Dans Brûle (photo de bandeau), le court métrage que nous avons fait ensemble, elle s’est engagée entièrement, consciente d’être partie prenante d’une équipe et désireuse d’œuvrer collectivement à la confection du film. Au-delà de sa lecture pertinente, Lyna s’inscrit avec aisance et intuition dans la technicité d’un plateau. Investie dans l’élaboration de notre personnage, elle m’a accompagnée dans certains choix signifiants – de costumes et d’accessoires notamment. En posant son regard sur mon récit, Lyna l’a aidé à grandir… et moi avec. 

 

Jan Sitta

Quand j’ai rencontré Lyna Khoudri, le casting d’Avaler des couleuvres (photo ci-dessus) était quasi bouclé. Mais mon premier assistant m’avait montré une photo de Lyna. Je ne la connaissais pas et ne l’avais jamais vue jouer. Mais j’ai eu le sentiment qu’elle pourrait être Souad, le personnage principal de mon deuxième court métrage, une jeune fille qui, pour signer son premier CDI, accepte de gommer ses origines maghrébines en changeant son prénom.

Dès le casting, j’ai été saisi par la présence de Lyna. Par sa justesse. Elle ne jouait pas. Elle était là. Totalement dans la situation. Dans le présent.

J’étais ravi de cette rencontre. Je sentais qu’avec Soumaye Bocoum et Lulla Cotton Frapier, elles allaient former un super trio.

Mais comme souvent, la prépa du film a été compliquée. On n’a pas pu répéter autant qu’on voulait. J’ai perdu mon chef op et ai dû constituer, au dernier moment, une équipe image. Je ne connaissais au final plus grand monde sur le plateau. On devait se retrouver avec Lyna deux jours avant le tournage pour travailler. Mais elle a été malade et n’a pu arriver que la veille du premier jour. Et, cerise sur le gâteau, on commençait par LA scène la plus importante du film. J’étais très très tendu. On a lancé le moteur et la magie a opéré : Lyna était devenue Souad. Je me rappellerai toujours ma fascination derrière le combo : je me suis dit qu’en fait, j’allais travailler avec une grande actrice. Lyna avait compris, ressenti le rôle. Elle incarnait totalement le personnage que j’avais écrit avec ma co-scénariste pendant deux ans.

Tout au long du tournage, Lyna a été d’une justesse terrifiante. On parlait souvent des scènes avant les prises. Elle posait deux/trois questions. Et puis, dès que le moteur était lancé, c’est comme si elle avait intégré dans sa voix, son corps, sa posture, tout ce dont on avait parlé seulement trois minutes avant. Souvent, dans certains plans du film, avec mon premier assistant, on trouvait qu’elle avait une cinégénie à la Isabelle Adjani. Un mélange de grâce et de force. Grâce parce que Lyna est solaire, elle dégage une énergie lumineuse mais elle a cette force de terrienne, un ancrage dans le sol qui, quand elle joue, peut lui donner une présence et une prestance incroyable.

J’ai adoré cette semaine de tournage, adoré travaillé avec Lyna. Tout paraissait tellement simple. Évident. Avec le recul, ce moment me paraît d’autant plus touchant qu’à l’époque d’Avaler des couleuvres, Lyna se posait plein de questions sur son avenir. Elle venait de tourner Les bienheureux, de Sofia Djama, mais le tournage de Papicha, de Mounia Meddour, pour lequel elle avait fait de grands sacrifices, ne démarrait pas. Elle doutait beaucoup de ses choix, de la suite de sa carrière. Un soir, elle m’a demandé comment je la trouvais dans le travail. Je me rappelle lui avoir répondu que je n’avais pas une immense expérience, mais que pour moi, il n’y avait aucun doute : elle était comédienne. Et, selon moi, une très très bonne comédienne. Mais j’ai tempéré en disant que dans ce métier, malheureusement, comme tout le monde le sait, il n’y a pas toujours de justice. Il faut croire qu’il y en a eu une pour Lyna… Et plutôt belle…

Propos recueillis par mail par Christophe Chauville

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