News 27/11/2025

Le bon cru des courts métrages d’Entrevues 2025

Pour sa quarantième édition, Entrevues a proposé comme chaque année à la fin du mois de novembre, à Belfort, un programme de courts et moyens métrages aux formes franches et aventureuses, présentés en binôme avec un long, et dont les territoires naviguaient entre les promenades sylvestres de Bel companho de David Ingels et les coulisses du club érotique de Sweetie de Zoé Filloux, lauréat du Grand prix André S. Labarthe du court métrage. Quatre d’entre eux ont plus particulièrement attiré notre attention.

Prendre le genre du polar noir pour le traiter sur le mode du film amateur de famille, voilà le projet de Détective Smiley et les amis perdus d’Antoine du Jeu (photo ci-dessous). Ce n’est pas un épigone de Bogart qui incarne ce privé enquêtant sur des disparitions aussi mystérieuses que récurrentes, mais une jeune femme, elle-même évanouie au fil de ses investigations et que nous raconte dans une voix off hésitante et mélancolique à l’accent irlandais (on reconnaîtra la cinéaste Roísín Burns) une femme inconsolable d’avoir perdu son âme sœur.

Ce que piste la détective, ce sont peut-être moins la disparition d’individus que de sentiments. Élias Beaucasse, orphelin depuis la nuit des temps, nous dit-on, s’est choisi pour famille élective des copains qu’il ne contacte pourtant plus depuis des lustres. Il aurait été aperçu frayant avec un groupe de jeunes royalistes exaltant les valeurs du collectif. Les amitiés se perdent parce que le temps passe et sépare ceux qui s’aiment, mais aussi parce que les idéologies brunes gagnent du terrain et séduisent jusqu’aux plus convaincus des militants de gauche, dont on n’aurait pas cru qu’ils puissent y succomber. La survivance de leur vibration subsiste dans des images de fêtes, dans des portraits souriants face à l’objectif. Film bricolé à partir de matériaux hétéroclites, Détective Smiley… célèbre le DIY et le mélange des images digitales et argentiques. Dans ce brûlot de nostalgie du temps des copains, Antoine du Jeu, en cherchant les amis de Smiley, rend surtout hommage aux siens, qui œuvrent devant et derrière la caméra. Il offre de sa bande un portait collectif doux-amer ainsi qu’une lettre d’amour au cinéma, à commencer par celui de David Lynch, auquel il emprunte le patronyme de son protagoniste invisible.

Abraham Wapler jouait un jeune homme “rapide” dans le film précédent de Paul Rigoux, émanation d’un dynamisme furieusement capitaliste. Dans Il manque toujours quelque chose (surtout quand on ne sait pas quoi chercher), récompensé par le Prix du public, l’acteur change absolument de registre pour devenir un chanteur de cabaret débordé sur ses scènes par ses élans lyriques. Il fait un soir la rencontre d’une mystérieuse jeune femme (Clara Pacini, revenue du pays gelé de La tour de glace de Lucile Hadžihalilović) qui lui assure qu’il a oublié quelque chose sur scène après son set en refusant catégoriquement de lui révéler la nature de la chose.

Dans une déambulation nocturne à travers un Paris désert, la jeune femme au jeu lynchien (on y revient toujours…) dans son débit monocorde et anormalement lent, troué de silences, le suit jusqu’au bout de la nuit, lançant des conversations futiles ou métaphysiques comme un oracle à la recherche de la vérité. Derrière leurs silhouettes se dévoilent les lumières d’une cité endormie dans laquelle l’un et l’autre peinent à se sentir à leur place tandis que naît un sentiment amoureux qui fait comme par magie passer cette inadéquation au décor au second plan.

Mi-déposition face à des policiers passifs et mutiques, mi-tutoriel de survie en cas de syndrome post traumatique successif à une agression sexuelle, Home Tour de Laura Dauvin (visuel de bandeau) reprend le format prisé sur internet de la visite guidée d’un logis pour faire le tour du deux pièces d’une jeune fille solitaire jouée par Patience Muchenbach. Aux scénarios de viol romantisés partout dans la fiction (les pornos proposant l’agression comme moteur d’excitation ou le scénario qu’elle joue pour elle-même d’une jeune innocente qui s’apprête à devenir l’objet de convoitise d’un prince tout puissant), Home Tour oppose avec une naïveté distanciée les vaines stratégies de contrôle de la jeune fille sur son corps pour ne pas revivre mentalement l’agression.

Proche de la performance, ce film de fin d’études de la Fémis joue de la solitude de son interprète dans ce décor unique comme d’un révélateur de sa profonde solitude, de l’enfermement dans un univers mental colonisé par l’agression qui l’oblige à prendre sa douche dans le noir pour ne plus croiser son reflet. Plutôt que de reconstituer la violence du geste qui reste hors-champ, il en reproduit les traces qui ne passent pas en décalant le pragmatisme du format vers un monologue que personne n’entend, surtout pas les deux policiers demeurant sans réaction.

À l’aide d’un crowdfunding, Rasheed Abueideh, ingénieur informaticien de Cisjordanie a développé en 2014 le jeu Liyla and the Shadows of War qui met en scène une famille de Gaza aux prises avec les risques de la guerre. Dix ans plus tard, dans le moyen métrage Still Playing (photo ci-dessus), Mohamed Mesbah le suit dans son quotidien avec ses deux fils qu’il prépare pour un concours de robotique. Le design simple du jeu vidéo dans un noir et blanc troué uniquement le jaune des explosifs lui donne des airs de conte horrifique dont l’héroïne est une petite fille pour laquelle la survie exige quotidiennement autant de ruse et d’habileté que de chance. Des streamers testent le jeu en ligne et laissent apparaître leurs émotions en découvrant le gameplay qui porte un scénario tragique tandis que l’un d’entre eux reste assez indifférent aux explosions de civils.

La “gamification” du réel, au lieu d’éloigner de nous cette histoire tragique, nous la rend plus intime. En parallèle, dans un témoignage poignant, le père de famille confie à la caméra que le contact de la peau de sa fille nouvelle-née a déclenché chez lui des mois durant des attaques de panique et des visions d’horreur. Dans la vie comme dans le jeu s’exprime la hantise de chaque parent : comment élever et aimer ses enfants quand on craint à chaque minute pour leur vie.

Raphaëlle Pireyre

À lire aussi :

- Le palmarès du Festival Entrevues de Belfort 2025.

- Sur un autre court métrage de Paul Rigoux avec Abraham Wapler, Ainsi commença le déclin d’Antoine.