News 25/08/2022

50 ans du CJC en pleine(s) forme(s)

Le Collectif Jeune Cinéma (CJC), première structure française dédiée à la diffusion, à l’expertise et à la programmation du cinéma expérimental et différent, a fêté ses 50 ans en 2021, tout au long de l’année et lors de la 23e édition du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (FCDEP, émanation du CJC ). Rappel sur les enjeux liés à sa fondation, dans la nébuleuse des “cinémas non dominants” à la veille de la 24e édition du FCDEP.

Le cinéma est devenu un “art légitime” et un rituel sociologique dans les années 1950 avec la popularisation et la médiatisation des festivals internationaux et compétitifs (Cannes, Venise, Berlin) qui présentaient un cinéma de qualité avec vedettes. Un autre cinéma apparaît qui sera nommé d’auteur, puis “jeune cinéma”, qui secrète ses propres festivals, du doyen Mannheim (Allemagne, fondé en 1952) aux festivals de Pesaro (Italie, 1964) ou d’Hyères (France, 1965), où seront présentés les films de Glauber Rocha ou Théo Angelopoulos, entre autres.

Mais le long métrage de fiction n’est pas le seul qui intéresse les cinéphiles et les militants culturels en ces périodes de bouleversements. Le Groupe des Trente fondé en 1953 s’élève contre la suppression du court métrage en première partie de programme dans les salles. Après quatre ans de mise au point naissent, en 1955, les Journées internationales du film de court métrage à Tours. En 1983 est fondée L’Agence du court métrage qui expertise et distribue les courts métrages, tandis qu’à la même époque est institué le Festival de Clermont-Ferrand, certainement le plus grand festival dédié à ce format dans le monde. Le combat pour la monstration, la diffusion et la légitimation des cinémas différents (1) se poursuit dans diverses directions. Mai-68 génère la formation de groupes qui diffusent des films militants, parfois clandestins ; les plus célèbres sont Slon (1968), Cinélutte (1973), Iskra (1974). Le Collectif Jeune Cinéma se situera dans cette mouvance.


Fils d’images de Frédérique Devaux (1999).

Expérimental : une difficile reconnaissance

Le cinéma expérimental a eu à la fois un  très long parcours allié à une reconnaissance  tardive, à laquelle le Collectif Jeune Cinéma va largement contribuer. Lors de la deuxième édition du Festival des Beaux-Arts qui se déroule à Knokke-le-Zoute en 1949, Jacques Ledoux, conservateur de la Cinémathèque de Bruxelles, souhaite présenter une section dédiée au “cinéma d’avant-garde” dont la dernière rétrospective avait eu lieu en 1929 à La Sarraz (Suisse). Ledoux organisera de 1949 à 1974 cinq éditions seulement de son festival dénommé “EXPRMNTL”, car il devait réunir des sommes conséquentes afin d’inviter, tous frais payés, le maximum de journalistes internationaux qui sans cela ne se seraient pas déplacés.

Comme tous les cinémas dits “minoritaires”, le cinéma expérimental connaît une phase de présentation en festival puis l’organisation en groupes de diffusion. C’est en 1962 que le cinéaste et critique américain Jonas Mekas  cofonde, à New York, la Film-Makers’ Cooperative, première coopérative de diffusion du cinéma expérimental indépendante, collaborative, non capitaliste. Presqu’immédiatement en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne des coopérative du même genre fleurissent mais aujourd’hui défuntes. Des tentatives sont faites en France par Piero Heliczer (Paris Filmmakers Cooperative) ou la coopérative Ciné-Golem tenue par Philipe Bordier à Bordeaux. Mais les statuts ne sont pas déposés en préfecture et ces organismes informels ne comportent pas de catalogue de location des films. 


Dailies from Dumpland, de Michael Woods (2018).

Le Collectif Jeune Cinéma

Présent au Festival d’Hyères 1970, le journaliste et juriste Marcel Mazé propose au directeur du festival, le libraire et romancier Maurice Périsset, de trouver des débouchés pour les films présentés dans la cité varoise. Le 23 juin 1970 une première séance a lieu au Studio du Val-de-Grâce, à Paris, avec des films de Robert Lapoujade, Pierre Bertrant-Jaume et Dennis Berry sous l’auvent du Collectif Jeune Cinéma (à l’époque ciné-club) et de la revue Cinéma 9. C’est à cette occasion que l’auteur de ces lignes rencontre Marcel Mazé et collabore avec lui. À partir de l’automne 1970, de très nombreuses projections ont lieu tant au Studio du Val-de-Grâce, qu’à l’Institut d’art et d’Archéologie de la rue Michelet où sont montrés pour la première fois en décembre 1970 les films de Steve Dwoskin. Seuls les films américains, anglais ou allemands étaient vraiment expérimentaux, à cette époque, alors que les films français ne le sont devenus qu’à partir de 1974. En un an, une cinquantaine de cinéastes, critiques et amateurs rejoignent le groupe. Le 12 juin 1971, le Collectif Jeune Cinéma devient la première coopérative de diffusion du cinéma différent et expérimental avec statuts déposés. Les films sélectionnés par le CJC sont légitimés de ce fait. D’autres coopératives se créent alors : la Paris films Coop. en 1974 et Light Cone en 1982.


Photo : Festival d’Hyères, début des années 1970, Mazé et Mekas au premier plan, Robert Lapoujade au fond.

Le Collectif Jeune Cinéma a gardé des liens étroits avec le festival d’Hyères jusqu’à son arrêt en 1983. Ce festival comme la plupart de ses homologues dits de « jeune cinéma » mélangeait les longs métrages des nouvelles vagues internationales et les films expérimentaux. Le public se plaignait d’avoir à regarder des œuvres trop formalistes qui l’incommodaient. En 1973, Marcel Mazé est nommé responsable d’une nouvelle section dite Cinéma différent, qui a présenté durant une dizaine d’années un nombre considérable de films du cinéma expérimental international. Le Collectif Jeune Cinéma a développé depuis sa création une importante activité éditoriale. Entre 1976 et 1980, vingt-six numéros de la revue Cinéma différent ont été publiés, puis de 2007 à 2011 onze numéros de la revue étoilements ont vu le jour.

 
La femme qui se poudre de Patrick Bokanowski (1972).

Si le Festival d’Hyères a été une manifestation distincte du Collectif Jeune Cinéma, la présence de ce dernier y était incontestable, en termes de choix, de pilotage des prospections, d’affinement des critères de sélection. En 1999, Marcel Mazé et l’association DCA ont créé, cette fois-ci au sein du CJC, le Festival des cinémas différents qui devint en 2010 le Festival des Cinémas différents et expérimentaux de Paris. Sa 23e édition, qui se déroulera en octobre 2021, va accueillir le gros de la programmation des focus du jubilé, d’autres séances étant prévues en aval dès le mois de janvier. De même qu’un projet de cinémathèque provisoire est en cours de finalisation, à Mains d’œuvres (2), qui permettra de projeter, à raison de quatre séances par semaine, un bon tiers du catalogue, libérant de la place pour des programmations plus ciblées. Le Collectif Jeune Cinéma distribue 480 cinéastes totalisant 1 650 films allant de Maya Deren (années 1940) aux films de cinéastes contemporains tels Patrick Bokanowski, Robert Cahen, Pip Chodorov, Jacques Perconte, Frédéric Tachou, Frédérique Devaux, Laurence Rebouillon et de quelques maîtres actuels du found footage : Derek Woolfenden ou Michael Woods.

Raphaël Bassan

 

Le comité d’organisation des 50 ans était composé de Raphaël Bassan (cofondateur du CJC), Frédéric Tachou (président actuel), Laurence Rebouillon (présidente de 2005 à 2018) et Théo Deliyannis (administrateur). 

1. C’est Anatole Dauman qui allie pour la première fois, en 1965, le substantif cinéma au qualificatif pour présenter des courts métrages de Chris Marker, Pierre Kast, Chaval, Jacques Baratier, Diourka Medveczky ou Roman Polanski. Marcel Mazé nommera, en 1973, “Cinéma différent” une section du Festival d’Hyères consacré au “cinéma post-Nouvelle vague” et expérimental.

2. Une bonne partie du catalogue a été diffusé à raison de une à trois séances hebdomadaires à Mains d’œuvres du 28 mai 2021 au 3 juin 2022, soit 67 séances. La première montrait les films les plus récents et le cycle se terminait par les films de Maya Deren et Jean Genet (note d’août 2022).

Photo de bandeau : Uishet (Excerpt) de Jacques Perconte (2007).

Ce texte est une version légèrement retouchée de celui paru dans Bref n° 126 en 2021.