Festivals 14/02/2022

Retour sur le Fipadoc 2022

L’une de nos collaboratrices était présente cette année sur le Fipadoc, qui s’est déroulé à Biarritz entre le 17 et le 23 janvier. Petit tour d’horizon en forme de compte-rendu.

Le Fipadoc de Biarritz a célébré pendant une semaine le meilleur de la création documentaire en réunissant les professionnels du récit, de l’image et du son, autour d’un événement convivial qui favorise les rencontres et permet à de nouveaux projets de voir le jour. C’est un festival qui croit aux histoires vraies, aux histoires à la fois simples et extraordinaires, mais surtout à un genre cinématographique qui ouvre les yeux sur ce qui nous entoure et témoigne du monde. Cette année, le documentaire a montré à quel point il était nécessaire, et à quel point il était important d’élargir notre regard sur l’extérieur, que ce soit notre voisin ou notre “lointain”.

Le film récompensé par le Grand prix, The Balcony Movie de Paweł Łoziński (photo de bandeau), en est un exemple. Le cinéaste livre un portrait intimiste de la société polonaise en filmant les passants depuis son balcon. Dans une réalisation à la portée de tous, il s’attache au sens le plus minimaliste du documentaire en enfermant le monde dans ce cadre unique, et en montrant ainsi comment le choix radical d’un point de vue peut transformer la perception du quotidien. En invitant les passants à rentrer dans son champ, le réalisateur confirme ce paradoxe que pour atteindre l’intimité, il faut rester à la bonne distance. 

Cette distance fait écho au film A Man and a Camera de Guido Hendrikx (photo ci-dessus), présenté dans le cadre d’un Focus Bénélux. Ce documentaire, qui porte bien son titre, échappe à toutes les définitions. En effet, le réalisateur pousse la sobriété cinématographique jusqu’à son paroxysme, proche de la blague. Se laissant guider par le hasard, il se poste devant des maisons avec sa caméra allumée, dans l’attente de la réaction des résidents. Hors-champ, le cinéaste ne dit rien et n’utilise aucune gestuelle, même lorsqu’on l’interroge. Tourné intégralement en vue subjective, le résultat à l’apparente à un film amateur, qui se révèle être l’un des plus inclassables et inconfortables, tant l’absence de réponse est déstabilisante. Dans l’absurdité qu’il provoque, il interroge avec une transgression rare le rôle du spectateur et, finalement, en dit long sur notre besoin de communiquer.

La diversité des points de vue et de la nature des récits se retrouvaient également au coeur des formats courts et de la sélection “Jeune création”. Sous le prisme des luttes sociales et politiques, de nombreux films bouleversent par leur authenticité. Le Prix Jeune création a été décerné à Que no me roben los sueños de Zoé Brichau (Belgique). Dans un climat de révoltes et de protestations, elle met en image la révolution qui éclata au Chili en 2019 et filme un groupe d’amis militant contre les inégalités subies au quotidien. Sa proximité avec ses personnages et leurs destins très engagés, sa maîtrise du récit et de sa portée sociale et politique, ainsi que la justesse de la place de sa caméra traversent l’écran avec un talent indéniable. C’est un film touchant de bout en bout, approché sous un angle intime et personnel où rien n’est dissimulé à la caméra. Une réalisatrice à suivre assurément… 

Du côté français, Hurler sur les murs de Geoffrey Couët (photo ci-dessus) offre également un portrait intimiste et féministe d’un groupe de filles qui s’empare de la rue et dénonce les injustices dont elles sont victimes en tant que femmes. C’est armées de colle et pinceaux qu’elles crient au monde le sexisme, la violence et les féminicides. Le réalisateur se place en observateur, en retrait face aux actions portées par ces jeunes femmes qui se reconstruisent en témoignant sur les murs.

Dans cet élan, il est intéressant de mentionner le film Writing with Fire de Rintu Thomas et Sushmit Ghosh (Inde), qui raconte l’histoire d’un groupe de femmes journalistes appartenant à la caste “inférieure” de la société indienne. Mais en dépit de cette classification et par le biais de simples téléphones portables, elles fournissent un travail journalistique épatant où elles prennent tous les risques. Avec aplomb, elles demandent des comptes aux autorités, dénoncent la corruption et la persécution des femmes. C’est un film indéniablement précieux qui fait entendre la voix et la détermination de ses protagonistes.

Le postulat éminemment politique à l’encontre des régimes gouvernementaux est un thème qui s’impose dans la programmation. Le Prix du court métrage a été décerné à Angle mort de Lotfi Achour (Tunisie/France, photo ci-dessus). À la frontière du documentaire et de la fiction, ce court métrage d’animation raconte l’enlèvement d’un homme, torturé, tué, puis disparu sans jamais avoir été retrouvé. Trente ans plus tard, le protagoniste revient en quête de réponse. Le film fait émerger ce qui a été volontairement, ou involontairement, enfoui dans notre histoire collective.

En parallèle, le film d’animation Flee de Jonas Poher Rasmussen, co-produit par Arte, consolide ce registre du récit politisé. Il raconte l’histoire vraie d’un Afghan qui a dû fuir son pays à la fin des années 1980 alors qu’il n’était qu’enfant. Trente ans plus tard, désormais installé au Danemark, il dévoile son combat pour la liberté. Avec dextérité, le réalisateur mêle habilement le personnel et l’universel. Il forme ainsi un remarquable mélange de genres qui parvient à sensibiliser le public à un problème mondial tout en suivant un récit intime.

C’est également le cas du film d’animation My Favorite War de Ilze Burkovska Jacobsen (visuel ci-dessus), qui raconte son enfance en pleine Guerre froide, sous un puissant régime autoritaire, essayant tant bien que mal d’aiguiser son esprit critique face à l’endoctrinement national. À l’aide d’archives et de témoignages, elle revisite son histoire, des années plus tard, sous un regard d’adulte.

Pour en revenir au format court, le film Y a pas d’heure pour les femmes de Sarra El Abed (Canada, photo ci-dessous) présente en huit clos un groupe de femmes tunisiennes qui se font coiffer et discutent de politique, à la veille de l’élection présidentielle de 2019. Le court métrage dresse un portrait amusant et perspicace de différentes générations de femmes qui parlent librement de tout et de rien. Alors que les conversations se concentrent sur le vote, le film construit une narration à plusieurs niveaux, capturant leur résilience et leur amour pour le pays.

Dans un récit encore différent, le court métrage A Day’s Work de Max Merkhoff (Allemagne) propose en split-screen le quotidien de travailleurs œuvrant à la construction quasiment à mains nues d’une route, pierre par pierre, dans l’est de la Birmanie. En utilisant des prises de vue aériennes, le réalisateur rend compte du travail de fourmi accomplit par les hommes dans l’immensité de l’espace. Vu d’en haut, cette voie révèle un paysage aussi brutalisé que le sont les humains. L’oppression par le travail forcé et aussi une thématique qui est proposée dans plusieurs films sélectionnés, tel que Chine : le drame ouïghour de François Reinhardt. 

L’année 2022 dévoile un palmarès éclectique et sensible qui éveille des questionnements autour de plusieurs axes de réflexion. Et la notion de documentaire n’a pas seulement à voir avec l’histoire qui est racontée, mais aussi avec l’expérience vécue par le spectateur. 

Léa Drevon

À lire aussi :

Que no me roben los sueños de Zoé Brichau, primé au Poitiers Film Festival 2021.

Sur le Fipadoc 2021 (organisé en ligne).