Festivals 21/01/2022

Retour sur Entrevues 2021 : monologues intérieurs

Il n’est jamais trop tard pour revenir sur l’un des festivals importants de la fin d’année, en l’occurrence Entrevues, à Belfort, dont l’une de nos collaboratrices a suivi la 36e dernière édition, fin novembre.

Comme chaque année, la sélection du Festival Entrevues de Belfort a fait la part belle à des courts métrages aux formes inventives et stimulantes, mêlant documentaire, fiction, expérimental. Fin du monde réel, fin de vie, monde devenu intangible : cette sélection montrait plusieurs films offrant des monologues introspectifs sur le rapport de l’humain à son environnement, récits d’intériorités blessées ou malmenées par la vie.

Enclin à filmer ce qui s’apprête à disparaître, le cinéma documentaire collectionne toute une galerie variée de portraits de grands-parents, témoignant avant de s’éteindre, telle une bibliothèque vivante, d’une époque révolue. Adrien Genoudet, auteur d’un long métrage documentaire au Cambodge, Quinzaine claire, et d’une fiction bricolée avec ses comparses Hugues Perrot et Louis Séguin, La lévitation de la princesse Karnak, signe un nouveau “portrait de grands-parents” avec Sans signal (photo de bandeau). Il y filme les parents de son père et le harassement de leur couple après soixante-dix ans de vie maritale.

Dans un simple dispositif d’adresse à leur petit-fils, ils racontent la difficulté de vivre vieux, la solitude, la peur du monde extérieur, la crainte permanente de chuter, leur corps ne les porte plus et les engueulades qui rythment leurs journées. Mais au milieu du film, le mari meurt. Sans filtre, sa femme se met alors à raconter la liberté inespérée que lui offre cette disparition. Derrière ce discours totalement dénué d’empathie et des convenances, accentué par la brutalité d’un visage meurtri par le grand âge, elle raconte ce qu’on n’entend jamais avec une sincérité telle qu’elle paraît inhumaine : l’aliénation du couple, le sentiment d’une vie ininterrompue de corvées, la solitude interminable dans un couple sans amour.

 

Pour exprimer un état que les mots ne traduisent pas, Margaux Guillemard fait un film comme un rébus, où la signification se dévoile par bribes et déduction, comme les souvenirs traumatiques sont revenus à la surface pour la narratrice. The Last Name of John Cage (photo ci-dessus) nomme le carcan dans lequel s’enferme son esprit depuis qu’elle a été victime d’une agression que son esprit a enfouie. Le récit opère un hiatus entre la voix off susurrée et le point de vue nocturne sur des façades d’immeubles dénuées de vie et invite avec pudeur à rentrer dans la douleur muette d’une intimité abimée.

Deux autres films jouent, dans cette sélection, de ce même effet de contretemps entre un esprit qui divague et des images du réel qui suivent leur propre cours. Forever de Mitch McGocklin (visuel ci-dessus) est le monologue d’un homme que son assurance a décidé, suite à l’expertise d’un algorithme, de ne pas prendre en charge, estimant que son mode de vie était trop risqué. Le personnage, seul chez lui, en conçoit une logorrhée intérieure, postulant ad nauseam ce que l’intelligence artificielle a décelé de malade en lui dont son corps n’a pas encore traduit les symptômes. Les images elles-mêmes sont virtuelles, modélisation d’un monde où seul le flot de pensée demeure humain tout en admettant être de plus en plus impuissant face au monde.

Avec Perchés (photo ci-dessus), Guillaume Lillo a reçu le Grand prix du court métrage. Il reprend la méthode de son film précédent, Rémy, collectant sur internet des images disparates qu’il modifie et assemble. Ce matériau hétéroclite forme  pour constituer le flux de conscience d’un homme qui fait du stop et, au gré des kilomètres qu’il fait avec un chauffeur ou l’autre, déverse à son interlocuteur muet des bribes de sa vie, les yeux rivés sur la pare brise.

Ce récit continu qui remonte le fil d’une vie faite de chaos à travers un montage d’images disparates et fragmentaires, dont les visages sont absents, et qui s’éclairent les unes les autres en miroir, comme le kaléidoscope qui apparaît dans les premiers plans. Ce montage qui fait disjoncter l’image et le son fait basculer le spectateur dans les sautes d’attention de l’auto-stoppeur, multipliant la vision de petites voitures pour conter son obsession des automobiles, traduisant par cet objet l’aller retour permanent entre intérieur et extérieur de ce flot de pensée intranquille.

Raphaëlle Pireyre

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