Festivals 14/06/2021

60 ans d’Annecy : André Martin, le fondateur

En complément au dossier consacré aux 60 ans du Festival d’Annecy dans le numéro 126 de Bref, un hommage particulier doit être rendu, au premier jour de l’édition 2021, à celui qui est en est à l’origine et dont un prix annuel remis sur place porte désormais le nom.

S’il est un nom indissociable des premières années du Festival d’Annecy, c’est bien celui d’André Martin, critique, réalisateur et chercheur, qui fut le premier à utiliser l’expression “cinéma d’animation” [1] et à en défendre inlassablement les couleurs.
 
Son fils Clément Martin, dépositaire du fonds documentaire Geneviève et André Martin [2], se souvient d’un homme qui aimait beaucoup plaisanter, “original, vivant, drôle, bouillonnant, extrêmement cultivé, intéressé par la recherche et la prospective, et surtout ne perdant jamais une occasion de montrer un chemin.” Pour lui, depuis toujours, la transmission, le partage et la réflexion sont en effet au moins aussi importants que les films eux-mêmes.

Dès le début des années 1940, il organise ainsi des projections, puis écume les ciné-clubs bordelais avec son ami Michel Boschet, autre cinéphile passionné par le Septième Art. C’est un orateur hors pair qui se fait remarquer partout où il passe. Lorsqu’il participe à la création des “ journées du cinéma” qui donneront naissance aux Journées internationales du cinéma d’animation (JICA) et au Festival d’Annecy, ses talents de “showman” s’épanouissent dans ces événements itinérants qui allient esprit forain et amour inconditionnel du cinéma sous toutes ses formes. Pour le public des premières JICA, André Martin “incarne” littéralement le festival [3].

Il écrit beaucoup, notamment pour les Cahiers du cinéma. En tant qu’amateur de la forme, il se passionne pour le burlesque (les Marx Brothers, Buster Keaton), mais aussi pour Fellini, et développe surtout une pensée primordiale sur l’animation. Le premier texte est un “manifeste” publié en 1952 dans L’Âge du cinéma : “Dessin animé et pesanteur” [4], puis viendront des textes sur Norman McLaren, Jiri Trnka, Karel Zeman…

Dans une interview de 1967, il résume cet attrait : “Pour moi, le film d’animation apparaissait comme une évasion absolue des normes mondaines de l’imagerie, un abandon des habitudes de perception, pas tellement par le côté magique de l’animation, mais à cause de la précision et de la décision des mouvements et des parcours, la variété des vitesses, des effets de surprise.”

En parallèle, il réalise à partir de la fin des années 1950 des courts métrages d’animation avec Michel Boschet puis, durant les années 1960, au cours de ses nombreux séjours au Canada, il se passionne pour les théories des télécommunications de Marshall Mclhuan [5]. Il prend alors ses distances avec l’animation, jugée trop industrielle, et se concentre sur ces recherches qui lui permettent de poursuivre son exploration des techniques et des comportements sociaux associés. Pendant sept ans, il dirige le service de la recherche du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, puis revient à l’animation et sa “re-naissance” en participant activement à la création du premier Festival d’Ottawa. De retour en France, il intègre le groupe de recherche image de l’INA, crée le Forum international des nouvelles images de Monte-Carlo (le futur “Imagina”) et réalise un premier court métrage d’animation français entièrement synthétique, à l’aide d’un simulateur de vol [6], pour démontrer l’usage créatif et poétique possible de ces nouveaux systèmes.

Il poursuit inlassablement sa promotion pour les “nouvelles images” et tente de convertir le monde de l’animation à cette révolution qu’il pressent et accompagne. Face aux réticences, il organisera même un festival off et de projections lors de l’édition 1977 du festival d’Annecy. Les décennies suivantes lui donnèrent évidemment raison, et plus de vingt-cinq ans après sa mort, on réalise à quel point il fut visionnaire, en plus de demeurer une référence incontournable dans le domaine de l’animation comme des prémisses du numérique.

Marie-Pauline Mollaret

Notes :
1. Tel que mentionné par Hervé Joubert-Laurencin dans son article “Dégel, un état de l’immobilité dans le cinéma d’animation” pour la revue Intermédialités de l’automne 2013
2. À retrouver en ligne ici.  
3. L’expression est de Dominique Puthod dans son ouvrage Le Festival international du film d’animation : 50 ans d’une histoire animée (Université de Savoie, 2015).
4. Coécrit avec Michel Boschet.
5. De 1965 à 67, André Martin réalise à l’ Office National du Film deux très denses documentaires sur la télévision et les moyens émergeants de communication et les “communications sociales” : Image que me veux-tu ? et La télévision est là.
6. Maison vole, coréalisé en 1983 avec Philippe Quéau.

Photos :
1. André Martin en 1951 lors des premières « Journées du cinéma », devant la camionnette qui servait à faire les projections ambulantes.
2. André Martin en 1979, chez lui à Villeneuve-le-Roi / © Clément Martin (Collection Geneviève et André Martin).
3. André Martin en 1975, Parc de la Gâtineau, Canada / © Clément Martin (Collection Geneviève et André Martin).

Visuel de bandeau : Rhizome de Boris Labbé, premier lauréat du Prix André-Martin, en 2015.

À voir aussi :

- Rivages de Sophie Racine, lauréate du Prix André-Martin 2020, actuellement disponible sur Brefcinema.

À lire aussi :

- L’édition du soixantenaire du Festival international du film d’animation d’Annecy.