Un moyen métrage de Yolande Zauberman en version restaurée
Nommé en 1989 au César du meilleur court documentaire, Classified People entraîne au cœur du terrifiant régime de l’Apartheid, en Afrique du Sud. Une œuvre de 55 minutes précieuse et émouvante, présentée par Shellac en copie restaurée 4K à partir de cette semaine.
La coïncidence de cette réédition avec la Coupe du monde de rugby organisée en France est troublante : alors que les redoutables Springbocks défendent leur titre, on se projettent avec ce moyen métrage vers l’Afrique du Sud des années 1980, les dernières de ce sinistre régime d’apartheid qui ne fut aboli qu’en 1991, après la libération de prison de Nelson Mandela et les négociations entamées avec le président d’alors : Frederik de Klerk.
Avec Classified People, Yolande Zauberman signait son premier film et mettait en lumière un système de ségrégation aussi révoltant qu’absurde, en se focalisant sur un couple dont l’homme, Robert, âgé de 91 ans, avait combattu dans les rangs alliés lors de la Première Guerre mondiale, avant d’épouser une Européenne et d’avoir des enfants, classifiés “blancs” alors que lui était considéré comme métis (“coloured”). Rejeté par sa propre famille, il avait refait sa vie avec une femme noire, Doris, également filmée par la réalisatrice et appartenant donc à une autre “catégorie” (cela fait même mal de l’écrire…).
Dans le cadre très intime de la vie et du foyer de ces deux-là, ce sont plusieurs décennies d’une histoire peu glorieuse qui émergent, émanant d’un gouvernement parmi les plus abjects de tous les temps, notamment par le biais de cette scélérate loi raciale promulguée en 1948. Le propos du film n’a pas à être militant car le point de vue trouve naturellement son équilibre dans son lien aux sujets filmés, Robert et Doris, en leur donnant la parole et en laissant leur grande humanité envahir le champ, sainement dévastatrice devant l’intolérable oppression bureaucratique.
Un moment d’anthologie intervient lors d’un déjeuner où deux des fils de Robert viennent à la maison – l’inverse n’étant jamais vrai, pas question pour eux d’inviter leur père et leur belle-mère dans leur quartier privilégié – et où un inconfort saisit le spectateur, prenant la réalité, du moins celle-là, en pleine face.
Le montage du film, présenté aujourd’hui en version restaurée (sur l’initiative de la plateforme Préludes), intègre aussi des monologues ultra-racistes éhontés d’un Afrikaaner, soliloquant pathétiquement, comme dans un stand-up nazi, pour ressasser sa haine des Africains natifs. Ce qui fait froid dans le dos, car des comme lui, cela ne demeure pas cantonné aux années 1980 (on sait hélas sur quelle chaîne info zapper pour le constater)… D’ailleurs, Yolande Zauberman a poursuivi depuis, au fil d’un parcours un peu atypique, son œuvre au long cours pour lutter contre toutes les discriminations, notamment avec le très beau M, long métrage documentaire césarisé en 2020.
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