En salles 07/10/2023

Rencontre avec Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol

Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol sont de retour avec leur nouveau film, destiné au jeune public. Ils nous ont accordé un entretien, dans le cadre d’un focus qui leur est consacré sur Brefcinema à partir du 11 octobre, le jour de la sortie au cinéma de Nina et le secret du hérisson.

Le duo formé par Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol (L’égoïste, Les tragédies minuscules ou encore Un plan d’enfer côté courts ; Une vie de chat et Phantom Boy côté longs) est de retour avec Nina et le secret du hérisson, un film résolument familial qui, s’inspirant d’une longue tradition cinématographique autour du motif du braquage, raconte comment Nina et Medhi, 10 ans, imaginent le plan parfait pour retrouver l’argent volé par le propriétaire de l’usine qui vient de fermer, et le distribuer à tous les ouvriers qui ont perdu leur travail.

Un récit humoristique dans lequel s’entremêlent habilement un contexte résolument politique et un imaginaire joyeux et coloré. Nous avons rencontré les deux cinéastes, qui signent ici un conte moderne et engagé, dont ils ont d’ores et déjà annoncé qu’il serait leur dernier film en commun. Si Jean-Loup Felicioli est désireux de rompre avec le long métrage pour se consacrer à des projets personnels, Alain Gagnol n’en a pas fini pour sa part avec le cinéma. On l’attend de pied ferme – peut-être sur le terrain de l’animation adulte ? 

 

Avec son contexte d’usine fermée, de spectre du chômage qui impacte toute la famille, et son idée qu’il faut se battre pour défendre ses droits, Nina et le secret du hérisson est votre film le plus politique. Était-ce votre volonté dès le départ ou cela s’est-il imposé peu à peu dans le récit ?

Alain Gagnol : Ce n’était pas si conscient que ça. Quand j’écris, il y a une part importante d’instinct. L’analyse vient après. Pour ce film, j’avais au départ en tête l’idée d’une petite fille qui aide son père et qui prend les choses en mains. J’aimais cette image. L’aspect social est arrivé relativement vite, parce que nous voulions que le film soit ancré dans notre réalité, ce qui était moins le cas dans nos autres films. C’est le mélange des deux qui est à l’origine de l’histoire. 

Jean-Loup Felicioli : C’est vrai que c’est notre film le plus réaliste. Dans les autres, il y a toujours une part de magie : dans Une vie de chat (2010), le personnage est un acrobate qui saute sur les toits. Dans Phantom Boy (2015), il vole… Là, on est vraiment ancré dans la réalité. Je pense que c’est aussi ce qui a séduit au moment de la phase du développement.

Écrire à destination du jeune public vous a-t-il obligé à une certaine prudence, voire de l’autocensure ?

AG : Il ne faut pas qu’un film devienne une agression pour un enfant, c’est sûr… Mais sinon, je reste persuadé que les problèmes de chômage et les tensions dans le couple, les enfants y sont confrontés au quotidien, directement ou non. Ils ne sont pas en dehors du monde ! Je pense donc que le sujet s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes.

Mais on ne veut pas faire de mélo, ni de film social pur et dur à la Ken Loach ; on met en avant le film de genre, le suspense, la comédie… car c’est ce qui nous amuse. Et souvent, c’est ce que font les films les plus intéressants : ils parivennent à mixer les deux et à dire des choses profondes, sans être misérabilistes ni asséner un message. 

Le film semble pourtant en véhiculer un en filigrane, autour de la désobéissance civile : il faut se battre pour ce à quoi on croit !

AG : Le danger, c’est la passivité ! Et en même temps, ce n’est pas tout rose. Les ouvriers se sont battus, mais cela n’a pas marché. L’idée est de montrer qu’il ne faut pas abandonner. C’est aussi ce que raconte l’histoire du hérisson qui cherche un travail : il ne se décourage pas, même lorsque ça ne fonctionne pas. 

JLF : Oui, on essaie de mettre de l’espoir ! Tout ne s’arrête pas lorsque l’usine ferme…

AG : C’est aussi à l’image de nos métiers : quand on fait des films, on rencontre des échecs, certaines choses ne marchent pas, ou ne se passent pas comme on veut. On se présente devant une commission, on recommence… Comme le hérisson ! C’est un horizon nécessaire de se dire que ce n’est pas parce qu’on a raté une fois qu’on va rater la fois suivante. C’est un message important à transmettre aux enfants. 

Vos films véhiculent toujours leur propre univers, malgré leur ancrage réaliste. Comment travaillez-vous cette dualité, notamment d’un point de vue visuel ?

JLF : Alain apporte les idées et moi la part visuelle. J’essaie d’amener mon univers coloré, joyeux, dans lequel la lumière a beaucoup d’importance, et lui apporte de la noirceur. De cette manière, on arrive à trouver un bon équilibre.

Votre style a évolué, mais on retrouve encore ces personnages aux visages très allongés, à la Modigliani…

JLF : À la base, c’était un peu ça ! Modigliani est l’un de mes peintres préférés. C’était encore plus évident dans nos premiers courts, presque trop. Quand on a commencé à faire des films pour les enfants, j’ai un peu adouci cet aspect, car je crois que c’était un peu trop agressif. Pour Nina et le secret du hérisson, je l’ai encore retravaillé, car quand on fait des choses trop graphiques, ça a tendance à réduire le champ des spectateurs. Ils se sentent comme agressés et ont du mal à entrer dans l’univers.

AG : C’est une histoire d’habitude, d’éducation visuelle. Je ne le dis pas du tout de façon méprisante, mais il faut avoir vu diverses choses pour commencer à reconnaître ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas. La difficulté que l’on a avec le jeune public, c’est qu’ils sont tous arrosés d’images semblables, en 3D, qui font référence aux jeux vidéo. En soi, ça peut donner des choses très bien, mais dès qu’on amène un graphisme un peu différent, comme ils ne le connaissent pas, ils le comparent avec ce dont ils ont l’habitude et trouvent que c’est mal fait… Alors que c’est juste autre chose.

JLF : Les plus petits s’adaptent plus facilement. Les livres jeunesse ont parfois des univers plus graphiques. Il y a cette diversité-là, que l’on perd en grandissant. C’est dommage, mais il faut le prendre en compte.

Est-ce l’économie du long métrage qui oblige à avoir ce type de préoccupations ?

AG : Tout à fait ! Qu’on le veuille ou non, le cinéma est autant un art qu’une industrie. Pour faire un long métrage de ce type, c’est entre cinq et six années, dont trois de fabrication. Il y a des dizaines, sinon des centaines de salaires à verser, il faut réussir à faire exister tout ça. Ça fait partie du jeu. Toute l’histoire du cinéma a été marquée par ça, et l’animation n’en est pas exempte. 

Vous expliquez être passé au long métrage pour enfants parce qu’il est encore plus compliqué de faire du long métrage d’animation pour adultes. Vous avez le sentiment que c’est toujours le cas, ou les choses changent ?

JLF : Les lignes ont peu bougé. Il y a eu quelques exemples de films pour adultes, bien sûr, mais ils marchent rarement. Ou alors il faut qu’ils aient une part politique ou documentaire importante. On perd le côté divertissement pur.

AG : Quand on est dans le romanesque, la fiction, c’est dur ! Une vie de chat devait à l’origine être un film pour adultes…

JLF : On l’avait transformé parce qu’on n’avait pas trouvé de financement. Ça commençait avec le personnage principal qui se tire un coup de fusil dans la gorge… Bon, ce n’était pas facile…

AG : À force d’écrire comme ça, j’ai quand même découvert qu’on pouvait parler aux enfants de choses qui ne sont pas complètement extérieures à ce qui peut nous intéresser en tant qu’adultes, à ce que l’on peut ressentir.

JLF : Pour un long métrage adulte, on aurait pu “pousser” le graphisme… C’est un peu un regret.

AG : Voilà… Je ne regrette pas de faire des films pour enfants, mais j’aurais aimé en faire un pour adultes.

Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret

Merci à Leslie Ricci (La petite boîte).
Visuels : © Parmi les lucioles/Doghouse.

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