En salles 21/04/2023

Les géographies intimes de Giacomo Abbruzzese

Le 3 mai sortira en salles Disco Boy, premier long métrage signé Giacomo Abbruzzese. Récompensé à Berlin de l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique remis à Hélène Louvard, cheffe opératrice du film, Disco Boy apparaît comme la mystérieuse synthèse d’une série de courts métrages réalisés depuis quinze ans par un cinéaste fascinant.

Originaire des Pouilles, Giacomo Abbruzzese n’a eu de cesse de voyager à travers le monde pour mener à bien ses projets de courts métrages, autant de films qui témoignent d’une grande diversité formelle, alternant entre documentaires, fictions, films expérimentaux, depuis l’Italie à New York en passant par les Pays-Bas ou Israël.

À contre-courant de la famille ouvrière dont il est issu, il décide de s’engager dans une voix artistique et apprend le français en lisant les Cahiers du cinéma. Il y découvre l’existence d’une école qu’il veut rejoindre aussitôt : Le Fresnoy. C’est une constante que l’on ressent dans son cinéma, cette manière d’être fidèle à ses racines, d’interroger son passé (America, I Santi...), mais de le faire toujours en mouvement dans le monde, dans un voyage perpétuel qui prenne le pouls des étrangers dont il se nourrit. Les langues, les destins, les trajets, les expériences, les cultures se croisent inlassablement, et produisent une hybridation du politique et de l’épique. Giacomo Abbruzzese quitte l’Italie pour abolir toutes les frontières.

Abbruzzese aime indéniablement la narration et l’exploration de ses personnages inscrits dans les péripéties concrètes d’’un scénario, comme avec I Santi (sombre histoire de délinquance dans la ville de Tarente) ou Stella Maris (une fête populaire dans un village perdu de bord de Méditerranée où va sonner la révolte). Mais le cinéaste a un goût tout aussi prononcé pour l’improvisation documentaire, comme avec America, nommé aux César en 2022 (un film en train de se faire sous nos yeux dans la quête de recherche du passé de son grand-père) ou This Is the Way (portrait étincelant d’une adolescente qui a deux mères lesbiennes et deux pères gay).

Fruit de dix années de travail, son premier long métrage, Disco Boy se retrouve ainsi à la croisée de ces chemins. Le film raconte, d’une part, la fuite clandestine de la Pologne vers la France d’un jeune Biélorusse qui s’engage dans la Légion étrangère pour obtenir des papiers français. Et il y a, d’une autre part, tout un pan du récit dans la jungle du delta du Niger où des affrontements militaires sévissent. Conséquence directe de ce long travail passé multiculturel, Disco Boy semble ainsi naviguer entre les différents territoires d’une manière lancinante, hypnotique.

C’est un voyage déroutant, résultat d’une lente maturation, qui s’apparente aussi bien à une quête géographique qu’intime, notamment pour son personnage principal interprété par Franz Rogowski que l’on a déjà vu chez Christian Petzold, Michael Haneke, Terrence Malick ou Ira Sachs. Il est le visage parfait pour le travail d’Abbruzzese, inquiétant, rugueux, filmé comme un songe déclinant. C’est une créature à la fois très physique (capable de combattre, de courir, de se révolter) et psychique (son visage semble flotter comme un spectre blessé entre les rivières, les discothèques et les chambres d’hôtel), jetée dans les territoires les plus mystérieux, habitant une région de l’âme où l’on se rêve à danser, à n’être qu’un “disco boy” au milieu des morts. 

Arnaud Hallet

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Les pires, de Lise Akoka et Romane Gueret, en DVD.