En salles 09/06/2021

Du court au long : Vaurien de Peter Dourountzis

Bénéficiant du label sélection officielle Cannes 2020, le premier long métrage de l’auteur d’Errance accède enfin aux cinémas (le 9 juin), après avoir été lui aussi repoussé. C’est une nette réussite, dominée par une performance assez étonnante de Pierre Deladonchamps.

Errance (2014), le premier des trois courts métrages de Peter Dourountzis, et Vaurien, son premier long métrage labellisé Cannes 2020, entretiennent sans l’ombre d’un doute un rapport direct. Le personnage principal s’appelle Djé à chaque fois, répondant au même profil de vagabond potentiellement inquiétant – quoique le changement de comédien du court au long, de Paul Hamy à Pierre Deladonchamps, accentue encore cette dimension, le second l’ayant pas la possible candeur du premier et semblant plus évidemment porteur d’une perversité retenue ne demandant qu’à éclater…

Le long métrage commence par une séquence déjà contenue dans le court, où le quidam sans domicile fixe s’invite dans les jeux d’un bruyant groupe de jeunes à la terrasse d’un café, ayant repéré l’une des filles de la bande, manifestement issue d’une classe sociale préservée de la dureté de la rue. Cette figure de “vaurien”, développée sur deux formats, n’est pas exempte de complexité, ce qui est assez courageux à explorer en ces temps : comment tenter d’expliquer – car il n’est pas question de justifier, disons-le tout net – les pulsions et la violence latente du marginal ?

La solitude liée à la mise hors-jeu de la société est observée avec un regard presque scientifique – d’entomologiste, est-on tenté de préciser – comme on suivrait un grand fauve aux comportements parfois imprévisibles derrière sa placide nonchalance. Et le réalisateur va chercher, paradoxalement, un certain romantisme caché tout au fond de la psyché du prédateur : Djé rêve malgré tout au grand amour, exclusif et total, comme quand il rencontre, dans le long métrage, la solaire et sensuelle Maya (jouée par Ophélie Bau, qu’on avait peu revue depuis le seul volet distribué de Mektoub My Love).

En cela, une parenté inopinée s’installe avec le protagoniste de Grands boulevards (2016), qui téléphone depuis une cabine publique (un mobilier urbain dont le dernier spécimen parisien a disparu en 2017 !) pour laisser des messages à celle qui l’a quitté et dont il ne se remet pas de la perte. Son désarroi est quasiment enfantin : son monde s’est effondré et il demeure groggy, sidéré de découvrir qu’il n’est pas unique, de surcroît déjà remplacé dans le lit de son aimée.

La différence majeure dans le portrait tient à la frontière de la loi, allègrement franchie par Djé lorsqu’il commet une agression fatale, arbitraire et glaçante. Tout comme le condamné à mort mis en scène dans Le dernier raccourci (2015), inspiré par un fait divers réel survenu à la fin du mandat de Valéry Giscard d’Estaing, avant l’abolition de la peine capitale en 1981. Ce détenu fumant sa dernière cigarette avant de passer à la guillotine – ce qui aurait sans doute attendu Djé à l’époque – est un assassin ordinaire, un pauvre type ayant commis l’irréparable, en l’occurrence un féminicide particulièrement sordide. Tous les points de vue d’artiste sont bons à recevoir sur le sujet, au moment même où les “mass medias” exploitent le motif en dégainant leur plus grosse artillerie, échéance électorale oblige.

Christophe Chauville

À voir aussi :

- Errance, actuellement en ligne sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Du court au long : Vers la bataille d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux, sorti le 26 mai 2021.