Cahier critique 22/03/2022

"Le gouffre" de Vincent Le Port

Finistère nord. La morte saison. C’est le dernier jour de travail pour Céleste, gardienne d’un camping en bord de mer. Elle s’apprête à partir quand une enfant disparaît. Il faut la retrouver.

On pénètre dans Le gouffre comme dans une brume ; d’emblée une sensation lancinante, à la fois trouble et cotonneuse, impose au rythme un ralenti. Céleste, qui a travaillé tout l’été au camping de son oncle, est sur le point de partir. C’est l’instant des adieux qui traînent, des lendemains de cuite, des dernières journées de travail, une impression qu’accentue encore la nonchalance naturelle de Céleste. Mais dès l’ouverture, cet engourdissement est là, prégnant et hypnotique, énoncé par un lent zoom sur une statue de divinité bretonne, comme une mise en garde. L’emprise d’un mauvais rêve auquel on n’échappe pas. Quand un enfant disparaît sans laisser de trace, Céleste repousse son départ pour participer aux recherches et découvre l’entrée d’un vieux souterrain qui semble inhabité. L’attente alors se mue en inquiétude et le lieu de vacances en purgatoire.

Une lumière naturelle subtilement exagérée, un format d’image intermédiaire (1.50) où les paysages apparaissent légèrement tronqués, comme si le hors-champ était à la fois présent et partiellement caché, et partout le doute s’immisce. Le montage joue discrètement sur les “faux temps” avec des durées de plan inattendues, les fondus enchaînés gomment les repères géographiques et temporels, ce qui fait toute la force de la mise en scène vient de ce qu’elle soustrait plus que ce qu’elle montre. Car si Le gouffre est hanté, c’est à la manière des films de Jacques Tourneur ou des nouvelles de Henry James où, plutôt qu’une intrigue à démêler, c’est un climat qui distille son mystère au cœur du plus familier.

Le fantastique qui pourrait naître alors serait celui d’une rencontre entre deux mondes, la surface et les profondeurs, le jour et la nuit, mais on comprend vite que ce n’est pas ce qui intéresse le cinéaste qui, au lieu de marquer la frontière, la trouble pour la rendre toujours plus incertaine.

Inspiré des légendes de sa Bretagne natale, Vincent Le Port tente d’en saisir les codes pour en réinventer le geste, avec une économie de moyens tirée de ses expériences documentaires et expérimentales. Plastiquement superbe, il y a dans Le gouffre quelque chose à la fois de vertigineux et de fragile, et qui réduit Céleste et le spectateur au silence, un sentiment d’écrasement, de petitesse. Comme si, sous l’apparente amnésie du présent, le murmure des croyances du passé nous parvenait encore.

Olivier Payage

Article paru dans Bref n°119, 2016.

France, 2015, 50 minutes.
Réalisation et scénario : Vincent Le Port. Image : Julien Le May. Montage : Vincent Le Port et Xavier Sirven. Son : Marc-Olivier Brullé,  Charlotte Butrak et Clément Decaudin. Interprétation : Zoé Cauwet, Xavier Tanguy, Ghassan El Hakim, Émilien Tessier, Thierry Machard, Gritt Maes et Angun Guillerm. Production : Stank.