En salles 03/07/2020

“Celles qui chantent” est à découvrir sur grand écran

Un programme de courts métrages sera dans les salles, dès le mercredi 8 juillet. Intitulé “Celles qui chantent”, il réunit quatre œuvres réalisées dans le cadre de la 3e Scène de l’Opéra national de Paris. Les Films Pelléas coproduisent et distribuent…

Depuis 2015, 3e Scène invite des artistes de tous horizons à réaliser librement des courts métrages autour des arts lyriques et de la danse. La plateforme gratuite de l’Opéra national de Paris accueille ainsi des œuvres réalisées par Apichatpong Weerasethakul (Blue, encore accessible à nos abonnés pour quelques jours), Clément Cogitore (Les Indes galantes), Sébastien Laudenbach (Vibrato, avec Olivier Mellano), Fanny Ardant (Magie noire) et même Bret Easton Ellis (Figaro). D’un film à l’autre, les artistes entrent en dialogue, et proposent une image mouvante et kaléidoscopique de la vénérable institution et plus largement des arts qu’elle abrite et met en lumière. 

C’est une fois encore le cas avec Celles qui chantent, un programme de quatre courts à découvrir sur grand écran à partir du 8 juillet. Comme son titre l’indique, il s’articule autour de personnages de femmes qui chantent, ou aimeraient le faire. Divas ou simples amatrices, elles sont au cœur de récits qui questionnent la place de l’art et de ceux, en l’occurrence de celles, qui l’incarnent dans leurs sociétés respectives.

Le programme s’ouvre en effet avec un documentaire de montage réalisé par Sergei Loznitsa à partir d’images d’archives des années 1950 et 60, et intitulé Une nuit à l’Opéra (photo ci-dessus). On y voit notamment Brigitte Bardot, Jean Cocteau, Elisabeth II, Grace Kelly et le Général de Gaulle fouler le tapis rouge, dans un faste difficilement imaginable aujourd’hui, pour assister à une représentation au Palais Garnier. La Garde républicaine est en tenue d’apparat, les badauds se pressent pour admirer les célébrités, les diamants étincellent de mille feux, les fourrures rivalisent de panache. Résonne entre autres, comme en clin d’oeil, la marche triomphale d’Aïda de Verdi. 

Il y a dans cet instantané solennel et malgré tout espiègle, une légèreté qui flatte l’instinct de midinette du spectateur, tout en soulignant la place centrale occupée à l’époque par l’Opéra dans la vie politique et mondaine française. On a le sentiment que le spectacle se joue beaucoup plus sur son perron et dans ses couloirs que sur scène, qu’il faut se montrer plutôt que de regarder ou entendre. Et puis, Maria Callas entre en scène. Alors, dès les premières notes de l’air de Rosine (extrait du Barbier de Séville de Rossini), on comprend qu’on s’était trompé : exit les stars, les chefs d’État, les souverains. Ne reste que la musique, et cette voix cristalline dont la moindre inflexion a plus de pouvoir, en cet instant, que toutes les célébrités réunies pour l’écouter.

Le deuxième court métrage, Les divas du Taguerabt (photo ci-dessus), fait étonnamment écho à cette démonstration. Un carton nous apprend qu’en 2016, la Chine a offert un opéra à la ville d’Alger. Le cinéaste Karim Moussaoui s’interroge sur les raisons d’un tel geste : “Ce n’est pas comme si on produisait dix opéras par an !”. Et au fond, que serait l’équivalent d’un opéra dans la culture musicale algérienne ? Une conversation avec une amie le met sur la piste de femmes se réunissant dans des grottes pour chanter du Taguerabt, une variante du Ahellil, un chant traditionnel berbère. Le film ne tranche pas la question de savoir si ces réunions existent réellement : ce qu’on en voit est une reconstitution. Mais leur simple évocation nous renvoie à la fois à ce qui pourrait être les prémisses de l’opéra, et aux origines de l’Humanité, dans un moment de communion intense qui, comme le chant pur de Maria Callas, fait tout oublier.

Violetta, de Julie Deliquet (photo de bandeau), nous emmène ensuite dans les couloirs de l’Opéra de Bastille, en alternance avec ceux de l’hôpital Gustave-Roussy. Le film montre comment réalité et fiction se mêlent dans le destin parallèle de deux femmes touchées par la maladie : la première parce qu’elle incarne Violetta dans La Traviata et la seconde parce qu’on lui diagnostique un cancer. Très vite, on ne sait plus où l’on est : cette perruque est-elle destinée à la cantatrice, ou à la malade ? Cette longue succession de portes débouche-t-elle sur des loges, ou des chambres de soins ? Les deux actrices dialoguent, chacune à sa manière, avec l’expérience de la maladie et la manière dont elle s’incarne sur scène et à l’écran.

Enfin, c’est Jafar Panahi qui ferme le bal, avec Hidden (photo ci-dessus). Toujours sous le coup d’une interdiction de tourner, le cinéaste reprend le dispositif utilisé dans ses derniers films (Taxi TéhéranTrois visages) et situe son récit dans l’habitacle d’une voiture filmée par deux téléphones portables. Ce simili road-movie familial conduit le réalisateur à la campagne, à la rencontre d’une jeune fille à la voix bouleversante à qui l’on interdit de chanter, parce que c’est un “grand péché” (la référence à l’intrigue de Trois visages est soulignée malicieusement par Panahi lui-même). On en revient ainsi au pouvoir de la musique, si grand qu’elle en devient même un danger supposé, et en même temps à l’impossibilité de la faire taire. Car si le film aborde explicitement la question des poches de conservatisme extrême qui subsistent en Iran (y compris des villages où se pratique toujours l’excision), c’est avant tout un manifeste puissant en faveur de la liberté totale de l’art, qui ne peut ni se commander, ni s'empêcher, et s’affranchit avec aisance de toutes les barrières derrière lesquelles on veut l’enfermer. 

Marie-Pauline Mollaret

À voir aussi :

- De longs discours dans vos cheveux, d'Alexandre Steiger, et Degas et moi, d'Arnaud des Pallières, deux autres films de 3e Scène en ligne actuellement sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Sur Donbass de Sergei Loznitsa en DVD.