Cahier critique 27/05/2020

“Saint-Tropez, devoir de vacances” de Paul Paviot

Saint-Trop’, Vian, Paviot, Piccoli...

Saint-Tropez, devoir de vacances est un film aussi foisonnant par ce qu’il montre que par ce qu’il suggère. Le cinéaste Paul Paviot, grand court-métragiste, qui n’a su se faire un nom dans le long métrage, a été le compagnon de route d’Alain Resnais (qui co-monte ce film), Chris Marker (qui écrit le commentaire de Django Reinhardt, 1957), de Boris Vian et de beaucoup d’autres artistes et acteurs de l’après-guerre qui ébauchèrent une véritable contre-culture en avance sur celle du Nouveau continent. Paviot conçoit Saint-Tropez, devoir de vacances alors qu’il achève sa célèbre “trilogie parodique” qui donnera une notoriété trouble et décalée au jeune acteur Michel Piccoli, présent dans les trois opus (1). Il s’agissait de prendre le contre-pied de l’aura dont Henri Langlois et ses amis dotaient alors le cinéma américain en s’en moquant tout en en respectant les mythes à défaut des règles. En même temps, ces films ébauchaient les canons de ce que devenait le court métrage d’alors, une forme de cinéma à part entière, et non un long métrage en réduction : l’ellipse, le “bon mot”, le poème habillaient de manière riche et inattendue ces travaux. En 1953, Paul Paviot sera un des signataires du manifeste du Groupe des Trente en faveur du court métrage. Boris Vian comme Paul Paviot et beaucoup d’autres se voulaient des touche-à-tout. Saint-Tropez, devoir de vacances en porte la marque.

Cette commune du Var commence à devenir une station balnéaire au sortir de la guerre, de manière encore modeste : Brigitte Bardot et Dick Rivers ne sont pas encore passés par là. Paul Paviot aborde le patelin sous l’angle géographique et un peu historique : description des places, des rues, des plages, des statues (celle du célèbre Bailli de Suffren) et monuments, des habitudes des locaux. Vian lie son commentaire (bien servi par la voix de Daniel Gélin) au noviciat d’un jeune Parisien, Gérard (Pichel Piccoli), qui découvre une ville en mutation avec des acteurs venus de Paris. Les véritables stars (Juliette Gréco, Odette Joyeux, Pierre Brasseur) se mêlent à des personnages fictifs, la comtesse (Éléonore Hirt) ou la jeune délurée Alice Dupont (Josée Doucet), qui esquissent de mini-intrigues avec divers locaux ou visiteurs. La greffe entre Saint-Germain-des-Prés et Saint-Tropez prendra t-elle ? Tel semble être le sous-texte du film. Le défi demeure présent tout au long des années 1950.

Gérard se fait inviter partout, croise des célébrités, assiste à l’inauguration d’un restaurant à la mode. Boris Vian, lui-même, traverse la ville avec une luxueuse voiture datant de… 1911. L’évocation des charmes d’une jeune Suédoise sont récurrents dans les commentaires : la Suédoise…un mythe de l’époque. Les belles Italiennes manquent encore à l’appel ! Et puis, Vian relativise : “Le monde est petit, l’Europe est petite, la France encore plus petite, mais Saint-Tropez, alors, vous savez, c’est tout petit, tout petit, tout petit.” Le commentaire plein de rebondissements est comme porté et dispatché par la musique de jazz d’André Hodeir, un nom connu à l’époque.

Saint-Tropez, devoir de vacances possède un ton décalé, auto-parodique, “essayiste”, et ceci avant les travaux de Chris Marker (dont Paviot produira Dimanche à Pékin en 1956). Rentré à Paris, Gérard raconte ses aventures tropéziennes : “Depuis que Gérard connaît les grands de ce monde, il voit l’univers à ses pieds”, conclut le commentaire. Mais, en fait, comme l’indique le titre, ce n’est qu’un “devoir de vacances” dont seule la postérité (que Vian prévoyait certainement) devrait valider le bien-fondé.

Raphaël Bassan

1. Terreur en Oklahoma (1951), Torticola contre Frankensberg (1952) et Chicago Digest (1952).

Réalisation et scénario : Paul Paviot. Image : Ghislain Cloquet. Montage : Alain Resnais et Andrée Sélignac.
Musique originale : André Hodeir. Interprétation : Michel Piccoli, Josée Doucet, Éléonore Hirt, Boris Vian, Ursula Kubler et Juliette Gréco. Production : Pavox Films.