Cahier critique 30/03/2021

“Genius Loci” d’Adrien Mérigeau

Une nuit, Reine, jeune personne solitaire, voit dans le chaos urbain un mouvement vivant et brillant, une sorte de guide.

On aurait dit un orage qui jouait de la musique”, une phrase prononcée par Reine – l’héroïne, complexe – pour définir les émotions éprouvées par les sons tonitruants d’un orgue. Genius Loci pourrait se résumer par ces mots, sorte d’orage imprévisible et intense qui peut se révéler aussi mirifique que ténébreux. 

Nommé à l’Oscar 2021 du meilleur court métrage d’animation, Genius Loci raconte la trajectoire tourbillonnante de Reine, poétesse, vers la nuit et les espaces urbains repliés. Les lieux ont-ils une prise existentielle sur nous ? Le personnage s’abandonne au temps présent, comme chez Perec et son récit Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, la description peut se muer en poésie, en expérience spirituelle. Le personnage se réapproprie ainsi le réel, transforme le béton rêche en nature affectueuse ou l’inhospitalier en terrain aimable. Les sons aussi sont partie intégrante de cette sensorialité, comme chez le compositeur américain minimaliste John Cage ; les bruits, les vibrations font la musicalité du monde tandis que le vacarme et le fracas peuvent être mélodieux. Cette narration aventureuse, avec des plages contemplatives, laisse également apparaître quelques questionnements. 

Reine a une personnalité fragmentée, comme le laisse présager ce miroir brisé au sol, démultipliant son visage au détour d’un plan. Le film d’Adrien Mérigeau aborde des thèmes durs, des nœuds intimes, dont la solitude ou la dépossession de soi, bien que le film fut réalisé – paradoxalement – dans une collaboration fertile. Notamment avec Céline Devaux ou avec l’artiste et dessinateur belge Brecht Evans, dont les compositions fourmillent de bizarreries exotiques, luxuriantes, et de couleurs expressionnistes (voir le décor détonnant de cette jungle colorée dans un terrain vague).

L’animation, quant à elle, est une effusion tourmentée et grisante, traduite par des dessins hallucinants, générateurs de visions protéiformes, oscillant entre le géométrique et l’abstrait comme autant de palettes d’humeurs – comme devant l’imagination disparate d’un carnet de croquis. Les différentes textures, superpositions des couches, ou l’utilisation de l’encre et de l’aquarelle, participent aussi à ce sentiment de bourrasque apaisante. 

Finalement, cet “orage qui jouait de la musique”, c’est surtout l’idée de faire advenir l’harmonie dans le chaos. Genius Loci n’est pas seulement le récit d’une recherche de soi – dans l’égarement –, mais aussi une constante et vivifiante recherche plastique.

William Le Personnic 

France, 2019, 17 minutes
Réalisation : Adrien Mérigeau. Scénario : Adrien Mérigeau et Nicolas Pleskof. Son : Julien Rabin, Maxime Roy et Laurent Sassi. Musique originale : Ninh Lê Quan et Théo Mérigeau. Voix : Nadia Moussa, Georgia Cusack et Jina Djemba. Production : Kazak Productions et Folimage Valence.

À voir aussi : une sélection de documents de travail sur Genius Loci confiés par Adrien Mérigeau.