Cahier critique 12/10/2021

“Conte de fées à l’usage des moyennes personnes” de Chloé Mazlo

Traumatisé par une rupture amoureuse, Joseph se décide à sortir de chez lui pour chercher du sucre et ôter le goût d’amertume de sa vie.

Après le succès de son film Les petits cailloux, salué par le César du meilleur court métrage d’animation en 2015, Chloé Mazlo s’empare du texte de Boris Vian Conte de fées à l'usage des moyennes personnes, qui figure sans doute parmi les moins connus de l'auteur. Originellement écrit pour divertir sa femme convalescente, il relate l'odyssée rocambolesque d'un prince partant à la recherche de sucre pour tromper l’ennui de son existence. Ainsi adapté de façon littérale par la réalisatrice, la réécriture s’éloigne néanmoins du dénouement d’un conte classique et perturbe le récit à coups de calembours, de clins d'œil, de dérision et de burlesque. 

Chloé Mazlo construit un film à tiroirs multiples, inspiré d’univers chargés d’illusions et de symboles, se saisissant de chaque élément du décor pour enrichir sa fable de fantaisie. Il s’en dégage une atmosphère ludique, qui joue sans doute sur une réminiscence inconsciente de l’enfance, à la lisière du contemporain et du désuet.

En ajoutant une histoire d’amour au texte initial, la réalisatrice file une métaphore tout au long de l’histoire. Son personnage est guidé dans une quête, un périple traversant cavernes et îles fantastiques, qui ne prend jamais réellement fin. Durant son cheminement initiatique, il est à la fois confronté à une insatisfaction perpétuelle et à un renouveau constant.

L’esthétique repose définitivement sur la minutie qu’exige les procédés de stop-motion et de pixilation. Ces techniques sont utilisées par la réalisatrice dans l’ensemble de ses films, et permettent d’aisément observer le plaisir du jeu inhérent à l’animation : une “magie” qui se loge dans les détails et permet aux objets inanimés de prendre vie, de décomposer les mouvements des comédiens qui se meuvent par à-coups, offrant un terrain de possibilités infinies. La poésie résulte naturellement de ce décalage autour du surréalisme et donne libre cours à la couleur, aux formes théâtrales et aux déguisements.

Le langage apparait à l’écran par touches, sous la forme d’une version modernisée des cartons du cinéma muet, marquant les différents chapitres du récit. Ces notes manuscrites, rédigées d’une écriture serrée, rappellent les pages d’un journal intime et couchent sur papier les états d’âme du protagoniste. Un seul passage parlé subsiste, clôturant le film sur cette éternelle question : est-ce que le but est un chemin ou le chemin un but ?

Léa Drevon

France, 2015, 13 minutes.
­Réalisation : Chloé Mazlo. Scénario : Chloé Mazlo, Yacine Badday. Image : Sara Sponga. Montage : Arnaud Viémont. Son : Alexis Farou, Florian Billon, Xavier Marsais et Fanny Lefebvre. Interprétation : Lucie Borleteau, Arnaud Dubois, Bérengère Henin, Hermès Mazlo et Anthony Peskine. Production : Les Films sauvages.