Cahier critique 24/02/2021

“Bonobo” de Zoel Aeschbacher

Quand l’ascenseur de leur HLM tombe en panne, Félix, un retraité handicapé, Ana, une mère célibataire en plein déménagement, et Seydou, un jeune homme passionné par la danse, vont voir leur destin se rejoindre dans un dénouement explosif qui les mettra face à leurs limites.

Dans des petites vignettes, rythmées par un montage vif, passant d’un portrait à un autre, Zoel Aeschbacher filme l’intérieur, joliment fêlé, des appartements d’une cité HLM, comme une petite radiographie domestique des plus modestes, avant de relier le destin de trois personnages dans une tragédie ordinaire : celle de nos quotidiens. Un ascenseur, écrin de tous les maux, ne fonctionne pas. Cette machinerie défectueuse, qui se grippe, va se révéler être un accélérateur de tensions en tous genres.

Produit par l’Écal, l’école de cinéma de Lausanne, et primé en 2018 au Festival de Clermont-Ferrand, Bonobo semble constamment cadrer la solitude (enfermé dans des boîtes, épié par des télésurveillances) avec son format carré reconnaissable du 4:3 contrebalançant l’image solaire de Dino Franco Bergugli. Les personnages sont pris dans ce piège de béton étroit, qui fait aussi ressortir le côté kafkaïen des jours qui passent, comme cette assistance téléphonique qui n’aboutit pas ou de l’impossibilité de déplacer un piano lors d’un déménagement rocambolesque.

Plus proche de Chien bleu de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh que de l’agressivité des Misérables de Ladj Ly, le film de Zoel Aeschbacher conte le quotidien d’une cité suisse sous des airs de fable urbaine. On retrouve la même volonté de poétiser cet espace, notamment avec ce jeune homme qui danse – sans éluder des questionnements sociaux – où le beau serait considéré comme une anomalie : ce danseur est fâcheusement viré de son emploi de surveillant pour avoir insufflé de l’art dans des espaces moroses.
Le rythme, de plus en plus soutenu, chemine progressivement vers une certaine implosion sociale. Comme dans Chute libre (1993), film ouvertement satirique et féroce de Joel Schumacher sur nos modes de vie insensés, pointe l’absurdité des petits travers la société ; devant les minuscules injustices qui nous rongent insidieusement et qui finissent par déliter notre essence, notre humanité, il ne peut y avoir d’autre issue que celle de perdre pied.

Tout se met alors à se casser avec le motif prégnant de la brisure : outre l’environnement détérioré du bâtiment, un bocal de poisson se renverse, ou l’on entrevoit des tours qui s’effondrent à la télévision pour appuyer que la violence et les blessures sont inexorables. Bonobo est animé par une rage tranquille, adoucie par des ralentis esthétisants et un mouvement musical d’Antonio Vivaldi, le compositeur des Quatre saisons, cache ici un hiver dans le cœur des oubliés, des peu considérés.

William Le Personnic

Réalisation et scénario : Zoel Aeschbacher. Image : Dino Franco Bergugli. Montage : Youri Tchao Debats. Son : Moreno Cabitza et Björn Cornelius. Interprétation : Nicole Mersey, Paul Minthe et Benjamin Sanou. Production : École cantonale d'art de Lausanne (Écal).