À la une 02/07/2025

India Hair vue par les cinéastes qui l’ont dirigée

En “bonus” de choix au focus que nous lui dédions cette semaine, nous avons demandé d’écrire, à leur convenance et sans contrainte de calibrage, quelques lignes au sujet d’India Hair aux réalisatrices l’ayant dirigée dans les courts métrages programmés, ainsi qu’à Valentine Cadic.

Valentine Cadic (Le rendez-vous de l’été, 2024 – photo de bandeau)

Travailler avec India pour mon premier long métrage a été un immense honneur.

J’avais vu India incarner de nombreux rôles, très différents et complexes, avec une justesse qui m’a toujours touchée.

India m’a beaucoup appris. Sa générosité, son écoute et ses propositions ont énormément apporté au personnage de Julie et au récit.

Ce qui m’impressionne chez elle, c’est aussi son intérêt global pour les films auxquels elle participe, qui ne se limite pas à la place de son personnage.

Cette curiosité et son immense travail lui permettent d’être aussi juste, que ce soit dans Les barbaresTrois amies ou Jeunes mères (1), des films aux genres assez éloignés. India a une capacité d’adaptation et d’incarnation incroyable et j’ai hâte de la redécouvrir dans les prochains films qu’elle a tournés ou qu’elle tournera prochainement !

Avril Besson (Queen Size, 2023 – photo ci-dessus)

J’ai eu un véritable “crush” pour India dans Camille redouble (Noémie Lvovsky, 2012), où je l’avais trouvée hyper burlesque et émouvante. Et j’avais l’impression que ce n’étaient pas des qualités qu’on trouvait souvent chez les actrices ; ce sont plutôt les hommes qui prennent ces rôles-là, on attend plutôt des actrices qu’elles soient plus dans une émotion intériorisée, disons. Et là, je voyais vraiment un corps se déployer dans tout ce qu’il était capable de faire, sur un registre de comédie ou autre. Et j’ai commencé à écrire pour elle un court qui ne s’est finalement pas fait, puis un long, Les matins merveilleux, qu’on vient de finir de tourner et qui a débouché aussi sur ce court : Queen Size. Et l’idée était de lui écrire un personnage qui aille vraiment dans cette direction-là, dans tout ce qu’elle peut avoir de burlesque, de décalé et en même temps de très émotif. Et c’était ce personnage – qu’on appelait “Charlie qui dit oui”, toujours OK pour tout ce qu’on lui propose et qui n’a d’a priori sur aucune situation, dans une espèce de truc complètement pur.

C’était génial de la voir enfin incarner le personnage après sept ans d’écriture, on s’est beaucoup marrées – on l’appelait beaucoup aussi “Clumsy Charlie”, pour sa maladresse ! On a joué énormément sur ces trucs-là…

Dans Les matins merveilleux, Charlie vient de perdre sa grand-mère et elle avait perdu sa mère dans l’enfance. Elle découvre par hasard une vidéo de DV de sa mère qui danse dans une fête de village dans les années 1990 et elle est complètement subjuguée de se rendre compte que sa mère a été autre chose que malade. Et le plan qu’on a fait d’elle en train de regarder la vidéo est un long travelling avant sur son visage, où elle fait un tout petit mouvement de bouche, assez étrange, mais qui me procure une émotion hallucinante. Elle arrive à une synchronicité totale entre ses émotions intérieures et ce qu’elle en fait sur son visage. On parle de choses complètement minimes, mais qui ont toujours une forme d’étrangeté.

Elle n’en est pas toujours consciente elle-même, mais en termes de jeu de comédienne, c’est très très précis. Et je pense que c’est ce mélange qui fait qu’elle arrive à proposer une palette d’émotions hyper large, dans la comédie comme dans la tristesse. Et puis c’est une actrice qui a une expérience du plateau de dingue : elle a tourné 50 films et il est particulièrement agréable de voir l’attention qu’elle porte à tous les corps de métier, tous les aspects techniques. Elle comprend tout. En cinq secondes, elle sait exactement où se placer. Tout va très vite, tout est très fluide. Et du coup, on a vraiment la sensation de faire le film ensemble… Il est vraiment très agréable de travailler avec India, qui est une espèce de mélange entre talent et gentillesse absolue, ce qui est selon moi assez rare. 

Anna Marmiesse (Lorraine ne sait pas chanter, 2016 – photo ci-dessus)

Lorsque mon compagnon m’a suggéré, pendant l’écriture du film, le nom d’India Hair (que nous avions remarquée notamment dans Camille redouble) pour incarner Lorraine, j’ai tout de suite été convaincue par cette idée. Elle avait ce mélange de charme et de maladresse, de malice et de timidité, que le personnage demandait. J’ai donc fini d’écrire avec India en tête, et quand est venu le moment de lui proposer le rôle, les choses se sont faites assez vite.

Le travail avec India, en préparation et sur le tournage, s’est déroulé très naturellement. Elle avait tout saisi du personnage. J’aurais du mal à exprimer tout ce que Lorraine ne sait pas chanter doit à India Hair – elle en est l’atout numéro un, l’incarnation parfaite de ce que j’avais en tête dans ce récit de décalage et de rythme (fragilement) trouvé.

Anne-Marie Puga (Un peu après minuit, co-réalisé avec Jean-Raymond Garcia, 2017 – photo ci-dessus)

En 2015, à la Cinémathèque Française, dans le cadre de l’exposition François Truffaut, Axelle Ropert réalise Truffaut au présent, un film composé de trois courts métrages, projeté dans la dernière salle du parcours.

Tournés dans un esprit Nouvelle Vague, les films mettent en scène des espoirs du cinéma français.  Parmi ces jeunes comédiens qui n’ont pas connu Truffaut, mais s’engagent dans le projet avec conviction, il y a India Hair. C’est là que Jean-Raymond la remarque – à vrai dire il a été subjugué ! – et me propose son nom pour le rôle principal de notre court métrage.

Nous revoyons ensemble Camille redouble de Noémie Lvovsky… Aucun doute : ce visage à fossette, cette voix au timbre singulier et ce fort tempérament nous convainquent totalement.

Grâce à Raphaël Jacoulot (2), nous lui envoyons par mail le scénario de Un peu après minuit. Sera-t-elle sensible à ce film d’effroi où elle incarne une jeune aveugle qui traque des voyants pour leur voler les yeux, dans l’espoir de recouvrer la vue ? Rien n’est moins sûr.

Alors, quelle surprise de recevoir quelques jours plus tard un message d’India. Et puis, tout a été très simple, car tout est spontané avec elle. Nous nous rencontrons dans un café à Paris. Une rencontre émouvante. Elle est timide, discrète – nous aussi. On dit souvent que les réalisateurs choisissent les comédiens, mais nous sommes intimement convaincus que les comédiens doivent aussi nous choisir !

Ce jour-là, India nous a parlé de ses parents, tous deux artistes, de sa passion pour le théâtre, et nous avons partagé nos goûts pour la peinture et la photographie contemporaine. Nous avons parlé de sorcellerie, de démons, de sabbat, de tentations… et du rôle de Suzanne dans Un peu après minuit. Impossible d’oublier son petit rire cristallin, sa bienveillance, la douceur avec laquelle elle nous faisait comprendre, sans le dire, qu’elle nous faisait confiance.

Le tournage n’a pas été de tout repos pour India car elle devait porter des lentilles opaques, fabriquées sur mesure. Elle ne pouvait les garder plus de quatre heures d’affilée. Nous nous efforcions de respecter cette limite, mais parfois, quand ce n’était pas envisageable, elle insistait pour continuer, tant qu’elle ne ressentait pas d’inconfort.

Mieux : elle les portait aussi hors du plateau pour rester dans la peau de Suzanne. Elle a fait le choix de ne pas voir certains décors afin de se rapprocher au plus près de son personnage. Un assistant l’accompagnait dans ses déplacements, et elle prolongeait son rôle de non-voyante bien au-delà du plateau. Nous avions fait appel à un coach durant la préparation, mais avons compris plus tard, qu’India s’exerçait chaque jour, seule, afin de ressentir sa propre cécité.

Elle nous a beaucoup donné durant ce tournage. Nous gardons une émotion particulière pour cette petite respiration, presque imperceptible, qu’elle introduisait pendant la conférence sur l’érotologie de Satan. Une apnée légère, une intention subtile qui incarnait Suzanne à travers sa réplique : “Maintenant, je dois partir.” Par ce détail, elle révélait déjà qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres. Sa métamorphose en sorcière venait de commencer. Ou le léger froncement de son nez, comme si elle reniflait les enfants … Avions nous parlé de la sorcière de Hansel et Gretel ?

Ce sont ces détails de jeu, son implication qui font d’India, une comédienne singulière et hors norme. India est une source d’inspiration aux multiples visages. Elle s’exprime d’abord par son corps, ses regards, la finesse de ses gestes, avant de dévoiler une voix posée, qu’elle est capable de moduler avec une aisance déconcertante. India est pour nous deux un encouragement à poursuivre, essayer de faire des films avec elle. D’ailleurs, tous nos projets, courts et longs métrages en cours de financement ne pourraient s’envisager sans elle, sans sa présence mystérieuse et sa générosité. Nous lui devons beaucoup.

Propos recueillis par Christophe Chauville

 

1. Réalisés respectivement par Julie Delpy (2024), Emmanuel Mouret (2024) et Jean-Pierre et Luc Dardenne (2025). 

2. Raphaël Jacoulot a dirigé India Hair dans le tout premier long métrage où celle-ci est apparue : Avant l’aube (2011).

Photo de bandeau : © 2024 - Comme des Cinémas/Cinq de Trèfle Productions.

À voir aussi :

- Nos entretiens filmés avec Avril Besson et Valentine Cadic.

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- Lætitia Dosch vue par… (en 2022).