1998 - 8 minutes
France - Fiction
Production : Fidélité Productions
synopsis
Le lendemain de l’an 2000, un jeune homme se réveille dans l’appartement du réveillon de la veille.
biographie
François Ozon
François Ozon, né en 1967, a commencé ses études de cinéma à Paris I, avant d’intégrer la Fémis en section réalisation. Il en sort en 1994 et réalise plusieurs courts métrages qui lui assurent une renommée importante. Une robe d’été, qu’il réalise en 1996, est son premier succès : il est présenté à Cannes et reçoit le Léopard de demain à Locarno et le Grand prix à Brest. Il enchaîne l’année suivante avec Scènes de lit et Regarde la mer et plus tard X2000, primé au Festival d’Oberhausen en 1999. Cette même année, il reçoit une Mention spéciale du jury pour l’ensemble de ses courts métrages à Clermont-Ferrand.
C'est avec Sitcom, en 1998, qu'il passe au long métrage. Sous le sable, sorti en 2000 et grand succès publique et critique, lui permet par la suite de travailler au rythme d’un film par an. Citons notamment Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, qui révèle Ludivine Sagnier en 2000, Huit femmes, Ours d’argent à Berlin en 2002, le thriller Swimming Pool, présenté à Cannes en 2003, la comédie Potiche en 2010 avec Deneuve, Depardieu et Luchini, qui joue aussi en 2012 dans le film Dans la maison, primé à Toronto et San Sebastian.
Après le succès à la fois critique et public de Grâce à Dieu, s'inspirant de faits réels d'abus au sein de l'église catholique et récompensé du Prix du jury au festival du film de Berlin en 2019, il met en scène entre chronique adolescente, film noir et mélo, la rencontre entre deux garçons dans Été 85, à l'affiche des cinémas au lendemain du déconfinement de 2020.
Son vingtième long métrage, Tout s'est bien passé, suit dès 2021 et ce cinéaste qui est incontestablement le plus prolifique du cinéma français contemporain poursuit son parcours au rythme d'un film par an. En 2024, son nouvel opus s'intitule Quand vient l'automne. Interprété par Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier, il est sorti dans les salles le 2 octobre.
Critique
Que se passera-t-il le premier jour de l'an 2000 ? Tel est le point de départ du dernier court métrage de François Ozon, une commande pour Canal+ sur le troisième millénaire. La première réponse qui vient à l'esprit, lorsque l'on suit le réveil du personnage principal (interprété par Bruno Slagmulder), serait que rien n'a changé. Dans un état comateux après un réveillon bien arrosé, Slagmulder croise, étonné, deux hommes enfermés dans un sac de couchage, contemple un couple par la fenêtre faisant l'amour, observe des fourmis s'attaquant à une poubelle puis à ses pieds et échange enfin quelques mots avec une femme d'âge mur, dans une salle de bains, avec laquelle il vient de passer la nuit. Rien n'a changé, et pourtant...
Pour la première fois, après l'avoir frôlé avec Regarde la mer et plus récemment avec Sitcom, Ozon s'intéresse frontalement au fantastique. Il l'aborde en premier lieu de façon ironique. En intitulant son film X2000, il parodie un genre (la science-fiction) qui a souvent permis de fantasmer le troisième millénaire. L'ultime phrase prononcée par Slagmulder (“Les fourmis attaquent”) sonne évidemment comme un pied de nez à un genre dans lequel ne s'inscrit pas le film d'Ozon. Comme c'est systématiquement le cas dans son œuvre naissante, d'Action vérité à Sitcom, la manipulation et l'art du contre-pied sont les moteurs principaux de ses récits. Si le spectateur, avec un tel sujet et un tel titre, s'attend à un pur film de science-fiction, Ozon va s'ingénier à décrire des actions banales, généralement omises dans ce genre de films. Un verre avec une aspirine, un bain que l'on fait couler, des poubelles infestées de fourmis, autant de signes du quotidien qui désorientent.
Cependant, si X2000 n'est clairement pas le film de science-fiction que l'on pouvait attendre, il appartient de plain-pied au genre fantastique. Ozon ne fait pas que retranscrire le réel, le quotidien. Il le met en scène. Intensifier le réel, telle pourrait être l'une des définitions les plus affinées du fantastique cinématographique. X2000 tord ainsi le coup à l'une des idées les plus répandues autour du fantastique qui voudrait le réduire à l'intrusion d'une notion irréelle (un monstre par exemple) dans un monde réel. Il pourrait se résumer en une transformation du réel par l'intrusion d'une perception décalée. C'est le regard de Bruno Slagmulder sur le monde qui l'entoure qui le fait entrer dans un univers décalé. De sa démarche simiesque rappelant les singes du 2001 de Stanley Kubrick, il semble parvenir, nu, ignorant pour un temps la parole, à l'aube de l'humanité1. S'il y a fantastique dans X2000, c'est parce que la perception du réel dans l'esprit du personnage principal et le réel tel qu'il existe, sont en décalage. Le double, si présent à l'image (deux garçons dans un sac de couchage avec deux boucles d'oreilles, deux robinets, deux aspirines... ), se définit ainsi par la discordance encre le réel et sa perception.
À un aurre niveau, par l'intermédiaire d'une brillante mise en scène, Ozon permet au spectateur de partager ce moment de bascule. En utilisant un univers sonore très dense et surtout en insistant sur les gros plans, Ozon parvient à intensifier le quotidien qui n'est alors plus simplement ce qu'il était. Grâce à ces gros plans, Ozon rend le très proche soudainement monstrueux. Le regard des deux garçons dans le sac de couchage, le plan sur le sexe de la femme, les fourmis qui investissent le pied de Slagmulder sont monstrueux parce qu'ils jaillissent brutalement aux yeux et à l'esprit du spectateur et font exploser les notions de distance. Rendre le réel monstrueux sans pourtant le modifier, tel est le tour de force d'X2000.
“Le fantastique est une ressemblance abstraite des choses par l'imagination.” (André Breton).
Luc Lagier
1. À noter une autre référence à un film de Stanley Kubrick, The Shining, lorsque la vieille femme prend un bain alors que le personnage de Slagmuder se regarde dans une glace.
Article paru dans Bref n°40, 1999.
Réalisation et scénario : François Ozon. Image : Pierre Stoeber. Montage : Dominique Petrot. Son : François Guillaume et Benoît Hillebrant. Interprétation : Denise Aron-Schropfer, Bruno Slagmulder et Lucia Sanchez. Production : Fidélité Productions.