
2015 - 17 minutes
France - Fiction
Production : Ysé Productions
synopsis
La mère de Victor fait une dépression : sa fille Camille a décidé de porter le voile. Victor se sent obligé de faire entendre raison à sa sœur. Même si il n’a rien contre le voile, Victor. Ou presque.
biographie
Mathias Gokalp
Né en 1973, Mathias Gokalp a suivi des études de lettres modernes avant de se former à la réalisation à l’Insas, en Belgique. Après de premiers essais filmiques en Super 8, il enchaîne au début des années 2000 trois courts métrages qui attirent tout spécialement l’attention sur son nom : Mi-temps (2002), Le tarif de Dieu (2003) et, surtout, Le droit chemin (2004).
Ce dernier, qui s’inscrit dans une Collection de Canal+ demeurée fameuse (intitulée “Voilà comment tout a commencé…”), fonctionnait sur un récit monté à l’envers et recevant plusieurs prix, dont le Lutin du meilleur scénario.
Mathias Gokalp passait alors au long métrage avec Rien de personnel, interprété notamment par Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès et Mélanie Doutey. Il recevait en 2009 le Prix Louis-Delluc du meilleur premier film.
Plusieurs années s’écoulaient alors avant une autre de ses réalisations, le court métrage Victor ou la piété, en 2015. Après un même intervalle se voyait mené à bien son deuxième long, L’établi, adapté du roman de Robert Linhart paru en 1978. Porté par Swann Arlaud dans le rôle principal, il est visible au cinéma à partir du début avril 2023.
Il a entretemps signé trois épisodes d’une série d’Arte : Amour fou (2020).
Critique
Le long silence cinématographique de Mathias Gokalp qui suivit la sortie de son long métrage Rien de personnel, en 2009, prenait fin avec l’arrivée de ce film. Dans la veine de l’un de ses premiers courts – Mi-temps –, le réalisateur décrypte subtilement une situation familiale et sociale conflictuelle, en prise directe avec l’actualité.
Depuis que Camille, la sœur de Victor, s’est convertie à l’islam et porte le voile, leur mère fait une dépression et refuse de parler à sa fille. Victor est d’autant plus concerné que sa sœur vit avec Abdel, son meilleur ami. Pour tenter de rapprocher mère et fille, il part rendre visite au couple qui vient d’emménager dans un nouvel appartement. Le physique “jésuiste” du comédien Franc Bruneau fait de Victor un missionnaire débonnaire tout désigné, mais qui n’a personnellement rien à reprocher à sa sœur quant à son choix.
Le réalisateur nous épargne les poncifs d’un film à thèse et oriente son récit vers une comédie douce-amère, registre dans lequel Gokalp semble marcher sur l’eau, où la fulgurance de certaines répliques et séquences surréalistes place définitivement le film au-dessus du lot. Car sous une physionomie simple et légère, Victor ou la piété questionne la relation triangulaire entre religion, parents et enfants. Le choix de Camille la met dans une situation complexe dans laquelle elle oscille entre deux normes. Soit emprunter la voie de la piété filiale, prônée par la philosophie confucéenne, et qui assure que la base d’une société stable et prospère passe par le respect absolu porté aux parents par leurs enfants, soit suivre les préceptes d’une piété religieuse, en l’occurrence celle de l’islam, qui demande au croyant une dévotion toute particulière à la mère. Par sa conversion sincère, Camille désobéit paradoxalement à ce précepte tout en fragilisant la cellule familiale.
Une situation ubuesque que le réalisateur exprime par une mise en scène parfois déroutante, telle cette foule qui attend stoïquement un bus qui ne passera jamais à cet endroit, ou cet homme armé d’un couteau électrique dans la rue, résurgence visuelle d’un fait divers sanglant évoqué plus tôt dans le film. Ces séquences absurdes et poétiques, voire drôles, rompent habilement un récit factuel rythmé par un dialogue verbalisé des trois personnages. Ce trio “amoureux” d’un nouveau genre est porté par des comédiens fortement inspirés et assurément bien dirigés.
Fabrice Marquat
Article paru dans Bref n°118, 2016.
Réalisation et scénario : Mathias Gokalp. Image : Christophe Orcand. Montage : Ariane Mellet. Son : Laurent Benaïm, Laure Arto et Xavier Thibault. Musique originale : Flemming Nordkrog. Interprétation : Franc Bruneau, William Lebghil, Esther Garrel et Béatrice Champanier. Production : Ysé Productions.