Extrait
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Une histoire de plage

Laïs Decaster

2023 - 23 minutes

France - Fiction

Production : Lorca Productions

synopsis

Marseille, en été. Mathilde et Alicia passent l’après-midi sur une plage. Elles parlent ensemble de la vie, de l’amour et de leurs désirs.

Laïs Decaster

Née en 1995, Laïs Decaster a grandi à Argenteuil. À 18 ans, elle débute des études de cinéma à l’Université Paris 8. C’est aussi le moment où elle tourne ses premières images qui, cinq ans plus tard, constituent la matière de son premier film. Pendant plusieurs années, elle filme ainsi ses amies en banlieue parisienne. Et à l'issue de son Master 2 en réalisation, en 2018, elle finalise sous la direction de Claire Simon le documentaire J’suis pas malheureuse, chronique de ses jeunes années et portrait d’un groupe de jeunes filles.

En septembre 2018, elle poursuit ses études à la Fémis au sein de la section distribution/exploitation. Elle s’entoure alors de plusieurs amis en image, son et production, et constitue l’équipe de son film suivant.

C’est ainsi qu’elle tourne son deuxième court métrage en 2021, Elles allaient danser, dans lequel elle fait jouer sa sœur Auréa Decaster et son amie Janna Arouci. Le film reçoit, entre autres, le Prix de la jeunesse et un double prix d'interprétation féminine au Festival Côté court de Pantin en 2021.

Soirée mousse permet à nouveau à la réalisatrice de filmer sa sœur en 2021, tout comme Car Wash en 2024. Ce dernier est alors présenté à Côté court, en même temps qu'une nouvelle fiction, avec Éloïse Bloch et Marie Rosselet-Ruiz : Une histoire de plage

Critique

NB : ce texte transversal paru dans Bref n°130 (2025) est consacré à la fois à Une histoire de plage et à Les fleurs bleues de Louis Douillez.

Une histoire de plage et Les fleurs bleues ont plusieurs points communs. Ce sont des films de duo, des films buissonniers ouverts aux rencontres, à l’inattendu, et dans lesquels la conversation s’écoule le temps d’une journée au soleil ou en montagne. Ce sont deux films qui parlent d’amour, de désir, d’amitié. Surtout, ce sont deux films dans lesquels Marie Rosselet-Ruiz, cinéaste et ici actrice, incarne avec une vibration lunaire, drôle et profondément émouvante une héroïne d’aujourd’hui au cœur fragile.

Dans Une histoire de plage de Laïs Decaster, elle apparaît perchée sur des espadrilles à talons, visiblement peu à l’aise pour crapahuter dans les calanques marseillaises. Alicia (Éloïse Bloch), baskets aux pieds, la devance de quelques mètres. Le plan ouvre le film et annonce la suite. Alicia et Mathilde, amies fusionnelles, avancent ensemble, mais plus tout à fait dans la même direction. La première vient de s’installer à Marseille quand la seconde espère le retour de son amie dans la capitale. Après Elles allaient danser, Laïs Decaster poursuit son exploration d’un cinéma au goût d’autofiction, pour un film coécrit cette fois-ci avec son amie Marie Rosselet-Ruiz, irrésistible dans la peau d’une jeune fille qui voudrait bien masquer sa peur de l’abandon par d’intempestifs rires communicatifs.

On retrouve dans Une histoire de plage cette affection particulière pour un art de la discussion qui, chez la cinéaste, convole vers un mélange de langage franc, mots crus et de considérations profondes, existentielles, sur le désir féminin et la sexualité hétéro. Une histoire de plage prend lui aussi conscience de cet héritage normatif pour le détourner. Quand deux garçons s’invitent dans le champ de vision, Mathilde, plutôt que de les envisager comme de potentiels flirts, se demande s’ils sont en couple. Tout dans Une histoire de plage semble jouer d’une perméabilité entre amour et amitié – D’amour ou d’amitié, c’est la chanson de Céline Dion que chantait Auréa, sœur de Laïs, dans Soirée mousse (2021). Ici se fredonne Le cœur grenadine de Laurent Voulzy devant un coucher de soleil démesurément romantique. Le film troque l’imaginaire amoureux collectif (gestes tendres et scène de rupture) pour un imaginaire amical réenchanté. Comme J’suis pas malheureuse (2018) ou dans le court métrage précédent Elles allaient danser, Une histoire de plage procède sans forcer, ni préméditer la chose, mais avec l’aisance naturelle d’un regard assuré sur le monde, à une redéfinition de ce qui fait les grandes histoires d’amour au cinéma, de ce qui fait évènement dans le documentaire, dans la fiction, dans le mélange des deux – chez Laïs Decaster, les petites choses de la vie sont saisies comme de grands moments de l’existence –, comme si ne pas choisir, était la plus grande des richesses.

C’est dans une partition proche que l’on retrouve Marie Rosselet-Ruiz dans Les fleurs bleues, de Louis Douillez, aux côtés de Michael Zindel (vu début 2024 dans Le dernier des juifs de Noé Debré). D’un film à l’autre, l’actrice offre une réactualisation délicieuse de ces personnages adulescents dont le cinéma français regorge, de Rohmer à Truffaut en passant par Guillaume Brac. Quelque chose d’un éternel anachronisme traverse les variations de jeu de Marie Rosselet-Ruiz et de sa persona d’actrice, être pataud, romantique, flottant au gré du vent et de l’amour comme un roseau. Dans Les fleurs bleues, elle est Madeleine, jeune femme qui cherche dans les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes le remède à son aliénation amoureuse. C’est dans un écrin de verdure, ciel bleu azur et en petite altitude, que Louis Douillez établit la rencontre, pas si hasardeuse, entre Madeleine et Alexandre. L’une et l’autre se reconnaissent par l’entremise du livre de Barthes qui accompagne leur exorcisme sentimental. Les fleurs bleues déroule ainsi le fil de sa pensée et épouse le rythme doux et chaloupé d’une balade en pleine nature. Entre les deux âmes en peine, questions et mots fusent et se confondent. Alexandre est amouraché d’un garçon hétéro quand Madeleine vit une relation platonique. Il faut voir la surprise sur son visage – la réaction paraît d’un autre temps – lorsqu’elle comprend qu’Alexandre est gay. Cette stupéfaction permet d’appréhender différemment le film qui renferme quelque chose de plus grave et complexe sur la question de l’amour, du désir. C’était déjà le sujet de Saint Lazare (2023), précédent court de Louis Douillez, dans lequel une fille lesbienne aidait un garçon à assumer son homosexualité. La tentation de rentrer dans les clous supposés de l’hétérosexualité habitent les deux films (et c’est aussi l’une des préoccupations souterraines d’Une histoire de plage), sauvés in extremis par la croyance en une amitié possible entre fille et garçon au-delà de l’héritage de principes sexistes – Mathilde n’y échappe pas quand elle croit la drague réservée aux hommes. D’un film à l’autre, c’est bien ce que synthétise ces personnages jumeaux qu’incarne Marie Rosselet-Ruiz, inscrits tous deux dans le grand corpus de la jeune fille au cinéma avec la ferme intention de s’en échapper pour de bon. 

Marilou Duponchel

Réalisation : Laïs Decaster. Scénario : Laïs Decaster et Marie Rosselet-Ruiz. Image : Juliana Brousse. Montage : Dinah Ekchajzer. Son : Loryne Bonnefoy, Fabien Beillevaire et Théo Cancelli. Musique originale : Maxime Daoud. Interprétation : Eloïse Bloch, Marie Rosselet-Ruiz, Quentin Paquet et Thomas Gaunet-Ascione. Production : Lorca Productions.

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