Extrait
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Un dimanche matin à Marseille : Béranger

Mario Fanfani

1999 - 4 minutes

France - Fiction

Production : Mandala Productions

synopsis

Béranger, la cinquantaine, prépare son repas de dimanche midi. On sonne à la porte : c’est Zora Medioui, une voisine, qui a reçu une lettre. Ne sachant pas lire, elle demande aimablement, puis avec insistance, de l’aide à Béranger, lequel découvre que le fils de Zora est malade du sida. Il est en phase terminale à l’infirmerie de la prison des Baumettes.

Mario Fanfani

Après une courte carrière de comédien sur les planches, Mario Fanfani choisit la réalisation. Après de premiers courts métrages (Pierre et Jeanne en 1996, Le dernier vivant en 1997), sa trilogie Un dimanche matin à Marseille (1999) est placée sous le signe de l’engagement militant, co-produite par Charles Berling et l’association Aides-Provence.

Béranger est le plus diffusé, mais Renaud et Catherine en sont les deux autres volets, les trois films étant le support d’une campagne nationale de sensibilisation à la solidarité avec les personnes touchées par le virus du sida.

Arte lui offre ensuite la possibilité de réaliser une fiction unitaire longue pour la télévision en 2005, Une saison Sibelius, avec Rüdiger Vogler, Jérôme Robart et Dominique Reymond.

Les nuits d'été (2015) est son premier long métrage pour le cinéma, interprété par guillaume de Tonquédec et jeanne Balibar.

En 2018, Mario Fanfani réalise un nouveau court métrage : Les courageux

Critique

­Le 18 janvier 2021, tandis que l’on venait d’apprendre la mort de Jean-Pierre Bacri (texte à lire ici), on revenait, ému, sur un court métrage de 1998 dans lequel celui-ci ramassait, en quatre minutes chrono, quelques traits de caractère, mimiques et attitudes, développés ailleurs à travers de nombreux personnages : autant de variations souvent inspirées autour de la figure du bougon au grand cœur. Un dimanche matin à Marseille : Béranger, de Mario Fanfani, a été restauré depuis. 

Quand on découvrit le film il y a plus de vingt ans (lequel, associé à deux autres partageant le même espace/temps, faisait partie d’une série), Bacri avait derrière lui Cuisine et dépendances, Didier ou encore On connaît la chanson. Devenu incontournable, il était déjà associé à cet emploi qui ne le quitterait plus et qu’il cultiva aussi sur les plateaux de télévision, faussement narquois, faussement cynique, jamais dupe.  

L’entame de ce court métrage ne dit pas autre chose, plantant vite le personnage dans ces atours connus. On l’y retrouve aux fourneaux, en bras de chemise, clope au bec et un œil sur la page des sports. On sonne. Il se lève pour ouvrir, étouffant un familier “Chier…” . Clairement, on le dérange. Mais c’est bien le film lui-même qui semble avoir pour programme de “déranger” cette image dans laquelle on sent peut-être déjà que l’acteur pourrait s’enfermer. 

C’est le réel le plus cru qui vient faire vaciller le personnage, en introduisant l’altérité dans une pause dominicale auto-suffisante où rien ne devait advenir. Cette réalité, donc, c’est le sida, maladie autour de laquelle l’époque et les gouvernements en place avaient le bon sens de multiplier les campagnes de prévention visant à informer les citoyens. Tel est le projet du film – commandé par Aides-Provence – que de déciller les yeux des spectateurs en même temps que ceux de Béranger. Celui-ci ne connait pas vraiment la voisine qui vient sonner à sa porte. Il ne veut pas la connaître, d’ailleurs, laissant de telles interactions sociales à sa femme, absente ce jour-là. Si Bacri amuse dès cette première minute, son personnage n’est à vrai dire pas très sympathique. Sitôt la porte refermée, le voilà surjouant l’agacement, imitant (avec un possible fond de ressentiment pied-noir) l’accent de madame Medioui, son tutoiement malhabile. Mais celle-ci insiste, il faut rouvrir la porte, écouter ce qu’elle a à lui dire. Et, là, le film commence. 

En lui lisant la lettre d’un fils malade en prison, le solitaire acariâtre découvre l’humanité derrière les clichés. Et la bascule subtile qu’opère le film laisse de plus en plus de place, dans les contrechamps et les gros plans, à cette femme ne sachant déchiffrer la lettre de son rejeton. Jusqu’à ce que son désarroi (“Il est malade, il va mourir comme un chien !”) finisse d’éteindre les réticences de Béranger, le laisse muet, bras ballants, ne sachant plus que dire, que faire, sinon, dans un sursaut d’humanité, proposer à madame Medioui de venir prendre un café à 17 heures, quand sa femme sera rentrée. Alors le cadre les rassemble pour la première fois, dans un plan d’ensemble, tandis qu’une légère amorce de travelling vient suggérer un rapprochement. 

C’est peu de choses et c’est très beau. Comme cette bande-son courant off tout du long et suggérant les jeux d’enfants en contrebas, lesquels font bien sûr écho à la solitude d’une mère en train de perdre son fils. Au Béranger qui regardait nerveusement à droite, à gauche, soucieux du qu’en dira-t-on, succède un homme saisi par l’empathie, un cadre qui s’élargit, faisant de ce balcon donnant sur des appartements disjoints un espace de circulation, de bienveillance et de compréhension. 

Stéphane Kahn 

Réalisation : Mario Fanfani. Scénario : Mario Fanfani et Jean-Benoît Terral. Image : Isabelle Fermont. Montage : Nathalie Herr. Son : Franck Desmoulins. Interprétation : Jean-Pierre Bacri et Fatiha Chériguene. Production : Mandala Productions.

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