
Trois grains de gros sel
Ingrid Chikhaoui
2022 - 26 minutes
France - Fiction
Production : Les Films Norfolk
synopsis
Deux sœurs de huit et cinq ans traînent seules à la maison, en pleine campagne. Elsa avale trois grains de gros sel, Judith lui annonce que cela la condamne à une mort par dessèchement. Il ne lui reste que quelques heures à vivre quand le retour de leur mère, au comportement ardent et fébrile, fait basculer le destin de la famille.
biographie
Ingrid Chikhaoui
Née en 1985 dans le Nord de la France, Ingrid Chikhaoui a d'abord étudié les arts plastiques et la photographie avant de travailler dans l'industrie musicale.
Elle vient au cinéma à travers la réalisation de plusieurs courts métrages au début des années 2010 : Unfold (2011), Bismillah ! (2013, sélectionné à Côté court à Pantin l'année suivante), Contorsion (2013, projeté dans un programme spécial à Clermont-Ferrand 2014) et Un kilo de plumes (2015).
C'est Trois grains de gros sel, produit par les Films Norfolk, qui lui vaut davantage de reconnaissance, recevant notamment une Mention spéciale du jury étudiant au Festival de Clermont-Ferrand 2022, en plus de sélections au Festival Tous Courts d'Aix-en-Provence et au BSFF à Bruxelles.
Ingrid Chikhaoui a aussi travaillé comme assistante à la mise en scène sur plusieurs autres courts ou moeyns métrages, comme Lâchez les chiens de Manue Fleytoux (2017) ou Éva voudrait de Lisa Diaz (2020). Elle a même été directrice de casting sur Charbon de David Arslanian.
Elle développe son premier long métrage, toujours pour les Films Norfolk, sous le titre de Mais la mer elle s'invente pas.
Critique
Le titre pourrait être celui d’une comptine pour enfants, de celles qui content des histoires beaucoup moins innocentes qu’elles en ont l’air de prime abord… Car les grains de gros sel deviennent dans l’imagination d’Elsa, la grande sœur, des pierres magiques qui s’avèrent mortelles lorsqu’on en avale trois – et le jeu prend rapidement une tournure cruelle lorsqu’Elsa abuse de la crédulité de sa cadette, Judith. Mais, à sa grand-mère qui s’inquiète, elle réplique : “C’est rien, on joue !”.
Or cette porosité entre jeu et cruauté trace une ligne de crête qui imprègne tout le film, mis en scène autour du point de bascule de la santé mentale de la mère. Lorsque celle-ci surgit avec le coq qu’elle vient de tuer, on pense ainsi également à la chanson pour enfants Le coq est mort, ou à un jeu qu’elle pourrait partager avec ses filles en utilisant arc, flèches, plumes et lignes rouges tracées sur son corps comme des peintures tribales. Sauf que celles-ci sont de sang, que le coq a été embroché avant d’être éviscéré avec force détails par ses soins, et qu’elle finira par viser sa propre fille avec son arc.
La réalisatrice Ingrid Chikahoui s’est inspirée de ses propres souvenirs pour écrire ce scénario dans lequel le jeu cruel des enfants fait écho au jeu dangereux de l’adulte qui a perdu le contrôle d’elle-même : “Je me suis souvenue de cette fois où j’ai vraiment fait croire à ma sœur pendant une journée entière qu’elle allait mourir au troisième grain de gros sel. Et j’ai compris le lien que ça avait avec le fait de grandir avec un parent instable, comme si c’était une sorte de stratégie inconsciente pour grandir dans ce milieu.”
Jouer à la mort pour conjurer le sort, telle semble en effet être l’expérience de ces petites filles face à l’effondrement psychique de leur mère. Mais le lien entre les deux sœurs se transforme et se renforce, comme dans beaucoup d’autres récits impliquant une fratrie de jeunes enfants face à un adulte défaillant ou disparu. Dans le registre du format court, on pense par exemple au film de Katell Quillévéré À bras le corps (2005) et, dans celui du conte – dont Trois grains de gros sel, comme déjà évoqué, est proche – à Hansel et Gretel ou au Petit Poucet et ses frères, soit des enfants délibérément abandonnés par leurs parents, mais qui trouvent finalement dans leur lien la force de surmonter les épreuves auxquelles les livre le monde des adultes, tout comme Elsa et Judith.
Anne-Sophie Lepicard
Réalisation et scénario : Ingrid Chikhaoui. Image : Charlotte Michel. Montage : Sarah Ternat. Son : Vincent Piponnier, Juliette Heintz et Jérémie Halbert. Musique originale : Carla Palonne. Interprétation : Ambre Julliat, Eowyn Personne, Manue Fleytoux, Laurence Huby et Jean-Luc Burfin. Production : Les Films Norfolk.