Tifs

Tifs cultive le goût de l’oxymore : “Ça caille”, dit Tyrannie devant des poulets rôtis dont on peut sentir la peau griller dans une chaleur infernale, avant de susurrer ses lancements de disque dans le micro de Radio Rage. Toujours décalée dans ses sentiments, les dialogues de la jeune femme sonnent davantage comme des pensées magiques que comme des convictions. Comme à la question “Qu’est-ce que tu fais ?”, elle répond : “Je m’estime, c’est long, je fais ça à plein temps.” Le temps est en effet la matière première de Tifs. Son goût pour le rétro se perçoit dans le style des personnages, looks de glam rockeurs pour les musiciens à cheveux longs dont le nom de groupe donne son titre au film, chemise country pour l’amant de passage rencontré dans un bar-laverie et style Swinging London pour Tyrannie. Il y a aussi un dépit, celui de l’amour passé. Séparée de Balthazar, le chanteur du groupe, Tyrannie cherche à conserver un lien avec lui. Prétexte à des échanges non synchrones, leur chienne Maldoror, dogue patibulaire et sarcastique qui observe et juge durement ses maîtres.

Film musical, Tifs cultive aussi l’art du contretemps et de la musicalité du parler. La géniale comédienne Camille Rutherford, créditée au scénario, mélange le français et l’anglais. Nathan Roche, chanteur du Villejuif Underground dont le film accentue la ressemblance vocale avec Lou Reed, parle français avec un accent australien. Et les borborygmes de Maldoror sont proches de l’éructation, malgré la pertinence de ses remarques sur l’inconsistance affective de ses maîtres. On entre dans les scènes comme on marche sur une crotte laissée par le sarcastique cabot sur le trottoir : les séquences se succèdent dans une alternance de hasards bon ou mauvais. Le montage, heurté rythmiquement, tranche dans le vif des émotions et met la logique narrative au second plan, privilégiant les fluctuations de l’humeur de Tyrannie, qui traduit les coqs à l’âne du cerveau de sa protagoniste à la charmante maladresse. Inès Loizillon a pioché dans sa propre fascination des musiciens, pleine d’autodérision, pour faire ce portrait de groupe et a demandé à son frère Félix de composer et jouer une bande-son qui donne à cet antidote à Hélène et les garçons une mélodie mélancolique qui mélange avec grâce désespoir et humour, nobles sentiments et soucis prosaïques, à l’image de cette fille du supermarché que Tifs chante dans son tube.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation et scénario : Inès Loizillon. Image : Chloé Bouhon. Montage : Hodei Berasategui. Son : Rémi Chanaud, Lucile Demarquet et Olivier Guillaume. Musique originale : Félix Loizillon. Interprétation : Camille Rutherford, Nathan Roche, Félix Loizillon, Carol Teillard D'Eyry, Valentin Toqué et Bert Haelvoet. Production : Vertical Production.