Extrait
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Swallow the Universe

Nieto

2021 - 12 minutes

France - Animation

Production : Autour de Minuit

synopsis

L’épopée grand-guignolesque d’un jeune enfant perdu dans les jungles profondes de Mandchourie. Sa présence soudaine engendre une complète anarchie dans le monde primitif jusqu’alors parfaitement organisé des animaux de la faune locale.

Nieto

Né en Colombie en 1979, Luis Nieto vit et travaille à Paris. Diplômé en 2005 de l’ENSAD (École nationale supérieure des Arts décoratifs), il se distingue immédiatement et sur une large échelle avec le très court Carlitopolis. Sa drôlerie et sa manière d'empoigner les trucages grâce à l'outil numérique se déploient dans la foulée à travers Far-West et À la baguette, où l'on peut retrouver le réalisateur Claude Duty.

Le “professeur Nieto” est ainsi distingué dans de nombeux festivals et s'essaie aussi au clip (Down, Down, Down, des Hushpuppies, en 2008), puis au format de moyen métrage, à travers le moyen métrage Capucine (2009), du nom d'un singe capucin femelle particulièrement intéressé par le cinéma… Ce film est montré notamment à L'Étrange festival.

Également peintre, plasticien, metteur en scène et même musicien, Nieto continue de réaliser des courts métrages, toujours produits par Autour de minuit : Finger Fighter (2010), Rabbid et Organopolis (2011), Métacinéma appliqué (2014).

Après une interruption de plusieurs années,  au cours desquelles il se consacre à des expositions et performances, il revient au cinéma en 2021 avec Swallow the Universe, qui obtient le Prix spécial du jury de la compétition Labo au Festival de Clermont-Ferrand 2022.

Voix tonnerre, animation expérimentale avec Denis Lavant, suit en 2024, concourrant en compétition Essai/Art vidéo au Festival Côté court de Pantin.

Pour en savoir plus, on se rendra sur le site personnel de l'artiste.

Critique

Puisqu’il adapte un manga de l’auteur japonais Daïchi Mori, lui-même inspiré de l’art ancestral des emaki, Nieto s’est naturellement laissé guider par la forme autant que par l’esprit de ces rouleaux peints proposant une narration horizontale (de droite à gauche) mêlant calligraphies et illustrations. Nous voici donc littéralement plongés au cœur de l’un de ces rouleaux, dont les scènes et les personnages s’animent sous nos yeux. Guidés par la voix d’un crapaud s’accompagnant d’une guitare (relayé en cours de récit par un poisson et une tortue), nous découvrons l’histoire fantasmagorique d’un jeune enfant perdu dans les jungles profondes de Mandchourie, confronté à toutes sortes d’animaux vivant là et qui, à son contact, découvrent la convoitise et le désir.

Si, de l’aveu même du réalisateur, Swallow the Universe peut s’interpréter comme une métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte, il est avant tout l’occasion d’une débauche visuelle exubérante et hallucinée comme le cinéma, même animé, en offre rarement. Entièrement basé sur les peintures ultra expressives de Daïchi Mori, dans un camaïeu de verts, de rouges et de blancs, le film propose une succession presque infinie de visions habitées et fortes, à la lisière du cauchemar et des enfers, peuplées de créatures surnaturelles, de corps déformés ou démembrés, de visages écorchés dont la chair semble se désolidariser du squelette.

Le texte qui commente l’action – avec des voix directement venues d’outre-tombe – est presque aussi énigmatique, composé de formules poétiques et parfois alambiquées (“Contemple le somptueux spectacle de la destruction”, “C’est moi le rugissement du silence”) et d’images frontales et crues pour décrire les fonctions anatomiques des personnages. Tout contribue ainsi à faire du film une fresque spectaculaire en perpétuelle mutation et à l’inventivité sans limite, qui s’avère tout aussi anxiogène qu’ironique. Ces corps qui échappent au contrôle de leur propriétaire, ces émotions involontaires qui débordent, ce jaillissement de sentiments et de phénomènes nouveaux et dévastateurs dessinent le portrait assez peu séduisant d’une adolescence pour le moins compliquée, et même carrément gore, dont les effets sont si retentissants qu’ils font l’objet d’une élégie chantée – et contaminent tout un univers demeuré jusque-là pur et innocent. Cette dualité – entre l’humain et l’animal, l’innocent et le perverti – renvoie également à l’imagerie généralement utilisée pour décrire l’ambivalence de cette transition symbolique. Mais si le film de genre à tendance fantastique ou horrifique est un incontournable pour parler du fameux “âge ingrat”, Swallow the Universe pousse les curseurs à fond et, exploitant le potentiel graphique offert par l’animation, soumet le spectateur à une expérience déstabilisante et inconfortable à même de raviver, y compris physiquement, de vieux souvenirs de jeunesse.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation et scénario : Nieto. Animation : Gabriel Claverie, Éloïse Rauzier, Coline Peron, Jeanne Griseri, Léo Silly-Pélissier, Thibaut Choleau, Daniela Metheyer, Florian Durand, Fabien Jimenez, Marianne Le Moigne, Antoine David, Diego Cristófano. Son : Bruno Seznec, Quentin Robert et Raphaël Seydoux. Musique originale : Marco Suárez-Cifuentes. Production : Autour de Minuit.

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