
2021 - 11 minutes
France - Documentaire
Production : Moderato
synopsis
“Vous n’avez rien à faire là”. Une phrase tristement banale qu’Amara, Amir, Do et Doums ont entendue alors qu’ils déambulaient dans les rues de Paris. Le temps d’une après-midi au Trocadéro, les quatre jeunes hommes nous racontent leur perception de l’espace public et de la place qu’ils y occupent, essayant par la force du groupe de s’approprier cette ville qui leur semble interdite.
biographie
Yveline Ruaud
Après des études de droit, Yveline Ruaud a travaillé plusieurs années dans l’aménagement du territoire en s'intéressant aux questions liées à l’espace, la ville, mais surtout celles et ceux qui l’habitent.
En 2018, elle tourne une websérie documentaire sur le collectif 75e Session, diffusée par Radio Nova. L'année suivante, elle réalise un premier documentaire, Clasher l’ennui (61 minutes).
Son court métrage Sortie d'équipe, qui s'inscrit également sur le terrain du documentaire, est présenté en 2022 au Festival international de films de femmes de Créteil, où il décroche le Prix du public pour les courts français.
Critique
“L’équipe”, ce sont quatre jeunes de banlieue, et “la sortie” une virée entre potes à Paris, jusqu’à la tour Eiffel, au Trocadéro. Depuis le RER (ils disent “le train” : “Ça fait quatre ans que j’ai pas pris le train !”), jusqu’aux marches du Palais de Chaillot, on les suit dans cette virée à Paname, avec tout ce qu’elle engage de clichés. Clichés sur la banlieue, clichés sur les Parisiens, clichés réels ou fantasmés, clichés subis ou affirmés, clichés qui s’entremêlent pour mieux pouvoir les questionner.
Une chose est sûre : dans ce déplacement de la banlieue vers cette célèbre place de Paris, il est question d’image et de représentation. Il y a un “eux”, il y a un “nous”, et de chaque côté, chacun ses codes, ses préjugés. Il y a ces rôles presque dictés, et chacun peut entrevoir les raisons de l’agacement de l’autre côté : celui des jeunes résolument trop bruyants qui se sentent jugés, celui des passagers qui s’indignent d’un manque de respect de leur tranquillité.
Mais plus on s’approche du cœur de Paris, plus l’assurance se tasse et plus la menace pèse. Ils pourraient être là comme en touristes – prenant des poses et des selfies, admirant la beauté du lieu –, mais se sentent regardés comme en intrus, surveillés. Nos quatre jeunes aussi surveillent, observent les lieux, mais aussi les interactions, les réactions qu’ils provoquent. Ils analysent. Le sourire côtoie l’amertume : “Ils se mélangent pas de manière générale, mais ils vont encore moins se mélanger avec nous !”.
Yveline Ruaud suit ses protagonistes de près, à la bonne distance pour que l’on soit avec eux, presque faisant partie de l’équipée. Et tout à la fois elle accueille et recueille leur parole. Ils sont conscients d’être observés, et prêts à nous inviter à voir les choses de leur côté. Ils partagent avec simplicité et lucidité leur sentiment de ne pas être à leur place dans Paris, et les mécanismes qui les mènent à ce constat. Celui de ne pas être “chez soi”. Celui de devoir être sur le qui-vive. Celui du manque de fraternité, de solidarité. La crainte (à raison), les regards de reproches ou les regards de mépris. Ils sentent et savent qu’ici, ils sont fragilisés, voire condamnés à l’injustice sociale qui plane, écrasante.
Yveline Ruaud nous permet de nous glisser dans la peau de celle ou celui qui écoute, et libre à chacun de juger, de regretter, de se révolter. Quel que soit le côté où l’on se place, spectateur, parisien, banlieusard, ou d’ailleurs, le regard que chacun porte sur cette injustice criante de la discrimination finit par entrer en résonance avec les mots de Paul Valéry, inscrits sur le fronton du Palais de Chaillot devant lesquels ils se sont posés :
Il dépend de celui qui passe
Que je sois tombe ou trésor
Que je parle ou me taise
Ceci ne tient qu’à toi
...
Marie-Anne Campos
Réalisation et scénario : Yveline Ruaud. Image : Antonin Compain. Montage : Yveline Ruaud. Son : Élie Rivière. Musique originale : Sheldon et Epektase. Production : Moderato.