Sidéral

Le vol spatial a plus d’une fois joué dans la fiction le rôle d’horizon vers lequel peut se tourner un personnage ivre de conquête métaphysique. Le cinéma aime à transformer les visées scientifiques et géopolitiques des missions intergalactiques en projets individuels et universels, le plus souvent masculins. Alice Winocour avait déjà féminisé cette quête de découverte dans Proxima (2019), qui mêlait les codes d’un récit scientifique avec des considérations domestiques : son héroïne astronaute apprenait à se séparer de sa fille pour entreprendre un long voyage dans l’ISS. Avec son quatrième court métrage, le cinéaste brésilien Carlos Segundo déjoue les attendus du space opera, le déleste de sa part scientifique et virile, et utilise le ciel comme la métaphore d’une libération de la pesanteur du monde terrestre. Présenté en Sélection officielle à Cannes en 2021, ce court métrage coproduit par Les Valseurs a été tourné rapidement, en pleine crise du Covid-19, entre Fendas et Big Bang, deux longs métrages datant respectivement de 2019 et 2022.

Pour allumer la mèche du désir d’ailleurs chez une mère de famille résignée, il ne faut rien moins que l’envol d’une fusée. L’image de son décollage se substitue au départ de la mère, qui reste, lui, hors champ. Alors que tout le Brésil a les yeux rivés vers la station de Natal qui s’apprête à lancer le premier vol habité national, cette femme de ménage en profite pour s’échapper d’un quotidien décevant dans une maisonnette de périphérie du Nordeste. Pour un temps seulement, la mère de famille échappe à ses inlassables corvées autant qu’à une immobilité irrémédiable. Chaque cadre, par sa précision et sa fixité, dévoile à quel point cette existence est plombée.

En sortir par le haut : voilà ce que semblent lui suggérer la flamme qui crépite dans un brasero devant son foyer dans le premier plan, la lampe à lave dressée sur la table de nuit de son fils ou les ogives spatiales. S’élever, ce sera la seule échappatoire à cet horizon que l’absence coupable du mari infidèle rend vide. Si le récit interplanétaire laisse penser que cette fugue se déroule dans les années 1990, le noir et blanc contrasté fait planer un doute sur l’époque de cette histoire intemporelle de déséquilibre dans le couple. L’issue de cette échappée aboutira fatalement pour l’héroïne à un enfermement punitif plus grand que le quotidien qu’elle avait laissé derrière elle. Le plan final laisse cependant espérer que l’échappée est devenu un horizon possible pour sa fille : les yeux tournés vers le ciel, elle brandit un feu de bengale allumé. 

Raphaëlle Pireyre

Réalisation et scénario : Carlos Segundo. Image : Carlos Segundo et Julio Schwantz. Montage : Carlos Segundo et Jérôme Bréau. Son : Miguel Sampaio, Antoine Bertucci et Vincent Arnardi. Musique originale : Jérôme Rossi. Interprétation : Priscilla Vilela, Enio Cavalcante, Fernanda Cunha et Matheus Brito. Production : O Sopro Do Tempo, Casa da Praia Filmes, Les Valseurs.