Extrait
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Scale

Joseph Pierce

2022 - 15 minutes

France, Royaume-Uni, République tchèque, Belgique - Animation

Production : Melocoton Films, Bridge Way Films, endorfilm, Ozú Productions

synopsis

Sur l’autoroute, Will perd le sens de l’échelle et fait une embardée. Alors que son addiction aux psychotropes s’amplifie de jour en jour, sa vie de famille est au bord du désastre. Will, face à ses démons, tente de terminer sa thèse et de remonter le fil des événements qui l’ont amené à cette lente déchéance.

Joseph Pierce

Cinéaste et animateur britannique, Joseph Pierce est né en 1986. Il a étudié à la National Film and Television School, à Londres, et le magazine Screen International l'a lors présenté comme l’une des “Stars of Tomorrow”.

Ses courts métrages d'animation – Stand Up (2008), Family Portrait (2010), The Pub (2012) et Scale (2022) – ont été présentés dans des centaines de festivals à travers le monde et ont remporté plus de 40 prix. Scale, par exemple, a été présenté à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique 2022, et à Annecy, avant de remporter le Prix de la critique au 42e Festival Anima à Bruxelles.

Joseph Pierce a aussi signé un film en prises de vue réelles, The Baby Shower (2017). Il collabore également à des spectacles de théâtre et d’opéra, notamment au Met Opera de New York, à la Royal Opera House et au National Theatre de Londres. Il développe actuellement son premier long métrage, avec Melocoton Films : How the Dead Live.

Critique

Inspiré d’une nouvelle publiée dans le recueil Grey Area de Will Self (1994), Scale met en scène un homme dépendant aux opioïdes, qui bataille pour terminer sa thèse et essayer de recoller les morceaux de sa vie familiale. Tout le film est une plongée vertigineuse dans une psyché torturée qui se raconte à la première personne et dont on embrasse le regard. Mais moins que les pensées verbalisées par le personnage, parfois à la limite de l’auto-apitoiement, c’est visuellement et à travers la narration que Joseph Pierce parvient le plus distinctement à nous faire ressentir de l’intérieur les émotions qui sont à l’œuvre.

Cela se manifeste dès la séquence d’ouverture, lorsque l’homme, qui s’observe dans le rétroviseur de sa voiture, voit son œil devenir démesurément grand, impossible à contenir dans son visage. Certains perdent le sens de la perspective, lui a perdu celui des proportions. Tout, dès lors, semble se dérégler autour de lui, dans un jeu d’échelles disproportionnées et de transformations corporelles qui oscillent entre l’inquiétant et le grotesque. Tel un personnage d’Alice au pays des merveilles, il change de taille au gré de ses délires. Tantôt, son visage – gigantesque – écrase les fenêtres de ce qui semble être une maison de poupées, où ses filles évoluent sans avoir conscience de sa présence. Tantôt, il semble tout simplement se dissoudre dans l’espace.

Entraîné dans son monde intérieur, le spectateur fait aussi l’expérience d’une réalité déformée, aux contours flous, dans lequel les temporalités se mêlent librement, tandis que les perceptions se brouillent. On ne sait jamais si ce que l’on voit est réel, ou si l’on assiste à une scène issue de la mémoire du narrateur, ou de ses fantasmes. Tout semble sans cesse sur le point de basculer ou de se recombiner autrement, dans un fascinant travail sur les mutations et les métamorphoses. La musique de Lung Dart, distordue et grinçante, crée une ambiance sonore qui contribue elle-aussi au fort sentiment de confusion mentale. 

Scale parvient ainsi à nous faire ressentir intimement l’état psychique défaillant de son personnage. Il aborde frontalement, et sans fard, les problématiques qui le hantent, comme l’obsession pour son travail, qui à la fois alimente son addiction et s’en nourrit, les regrets face à ses manquements ou encore l’impossibilité à reprendre pied avec la réalité. C’est comme si l’on voyait distinctement se mettre en place à l’écran les mécanismes le maintenant dans cet état de trouble profond, modélisation mentale d’un faisceau complexe d’émotions, de sensations, de signaux sensoriels qui s’entretiennent les uns les autres, et qui se matérialisent physiquement dans son propre corps sous la forme d’un réseau de flux à la fois corporels et psychiques qu’il finit par confondre, dans son délire, avec le système organisé d’un réseau routier.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation : Joseph Pierce. Scénario: Joseph Pierce et Nicolas Pleskof. Image : Vanessa Whyte. Animation : Natasza Cetner. Montage : Robbie Morrison. Son : Dominic Fitzgerald. Musique originale : Lung Dart. Voix : Sam Spruell, Zahra Ahmadi, Evelyn et Lila Neghabian Pierce. Production : Melocoton Films, Bridge Way Films, endorfilm et Ozú Productions.

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